Florine a perdu sa maman il y a quelques années d’un cancer du sein. Et si elle a longtemps cru avoir les ressources en elle pour élever sa fille sans un soutien maternel, son nouveau rôle l’a conduite malgré elle à une réalité : le gouffre laissé par l’absence. Un gouffre qu’il a bien fallu combler en allant chercher ailleurs, chez d’autres femmes de sa vie, de nouveaux repères.
"Je m'appelle Florine, j'ai 32 ans.
Je vis en Belgique, je suis transformation manager dans une banque.
Ma famille est composée de Thomas, mon conjoint depuis 7 ans, et de notre fille Céleste qui a 3 ans.
Fonder une famille a toujours été une évidence pour moi, mais le sujet de la maternité entre réellement dans ma vie il y a 4 ans, quand je décide d'arrêter la pilule non pas pour un projet bébé immédiat mais à cause des antécédents de cancer dans ma famille*... J’ai perdu les trois femmes de ma vie en trois ans, ma grand-mère, ma maman et ma marraine, toutes emportées par un cancer. Elles avaient respectivement 76, 50 et 45 ans. Ma maman, elle, a appris son cancer du sein en même temps que sa seconde grossesse, elle était alors enceinte de mon frère, j’avais 5 ans et elle 31 ans. Véritable guerrière, elle a déjoué tous les pronostics, on lui donnait quelques mois, elle a tenu 20 ans.
Avec ma maman, on a toujours été très proches, même si relativement pudiques toutes les deux. Son avis comptait plus que tous les autres. J’ai toujours eu le sentiment d’avoir beaucoup de chance de l’avoir comme maman et je pense que c’était réciproque, je me souviens de son regard rempli d’un mélange d’amour et de fierté quand on fêtait une réussite, grande ou petite. Elle aurait déplacé des montagnes pour qu’on soit heureux avec mon frère. Il ne se passait pas une journée sans qu’on s’écrive, qu’on se partage une trouvaille déco ou vestimentaire, une recette, un bon plan… En grandissant, j’ai toujours eu le sentiment que je n’aurais pas la chance de l’avoir avec moi suffisamment longtemps, alors je la voyais dès que possible, on essayait de profiter de tous les petits moments, c’est quelque chose qu’elle m’a beaucoup appris. Je souviens de notre city trip à Barcelone, toutes les deux, parenthèse hors du temps, remplie de nos activités préférées : se promener dans les boutiques, boire un verre en terrasse et surtout profiter de la vie et du soleil.
Je sais qu’il y a chez moi une hérédité supposée, je n’ai pas (encore) souhaité faire les tests génétiques. La maladie me terrorise, je la trouve profondément injuste. À l’heure actuelle (et à ma connaissance), avant 25 ans, le suivi n’est pas particulier. C’est à partir de 25 ans, si on est concernée par la mutation des gènes BRCAs** que le suivi s'intensifie. Dans mon cas, je pars du postulat que je peux avoir une mutation des gènes BRCAs**, je passe donc chaque année une IRM et une échographie à titre préventif. Et comme j’ai ce suivi un peu particulier, je n’ai pas envie (besoin) d’en savoir davantage pour le moment. Cela dit, je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de ma tête et, de fait, ma relation à la maladie est plutôt compliquée, même si je travaille beaucoup dessus.
J’arrête donc ma pilule par précaution et quelle bonne intuition de la stopper puisqu'il faudra attendre un an avant que mes règles ne reviennent grâce à des tisanes “magiques” conseillées par mon amie Caro. Notre bébé (presque “surprise”) se niche dès le premier retour de règles. C'est Thomas qui, la veille de Noël, pense que je suis enceinte. Par prudence, je fais un test avant les célébrations de fin d'année... Bingo !! 2 traits !! Thomas fait des tours d'appartement, rempli de joie. Moi, je reste tétanisée, tellement surprise... surprise de n'avoir jamais réellement dû essayer, surprise de n'avoir rien perçu dans mon corps, et épatée que Thomas réalise avant moi qu’on attend un bébé, même si, pour la petite histoire, il devine toujours les grossesses de mes copines avant qu'elles ne nous les annoncent !
Je suis donc enceinte de 3 semaines et tétanisée ! La situation s'inverse vite aux premiers battements de cœur que je découvre seule (Covid oblige) mais que je partage ensuite avec Thomas. Alors que lui se dit “Gloups..., c'est réel”, moi je jubile : "ça y est, c'est vraiment vrai !"... Je sors le soir même sur le balcon l'annoncer à ma maman, mon étoile qui brille dans le ciel.
Je vis une grossesse magnifique, en pleine forme, avec une sérénité qui étonne tout le monde mais, dans ma tête, rien ne peut mal se passer, la vie a déjà été assez difficile avec moi... En guise de préparation à l'accouchement, on fait de l'haptonomie et c'est notamment lors de ces séances que je découvre la cartographie Urkind, un outil qui permet d’évaluer les difficultés psychosocio-émotionnelles des femmes enceintes ainsi que les ressources internes dont elles disposent pour y faire face. Avec la sage-femme de l’hôpital, nous passons en revue les différentes dimensions de la cartographie et il y a une question sur la « transmission maternelle ». Moi, je suis convaincue d’avoir eu ce privilège d’avoir été accompagnée pendant 25 ans de ma vie par une "mère-veilleuse" qui m’a tout transmis pour pouvoir remplir à mon tour mon rôle de maman… jusqu’à ce que je prenne conscience du gouffre laissé par son absence...
" (...) c'est mon bliss avant le bliss d'emmener ce ventre dans l'endroit préféré au monde de ma maman. "
Juillet 2021. J'emmène mon gros bidou au Lac de Garde, un endroit où nous allions chaque année avec ma maman et où nous continuons de nous rendre en famille. On est à moins d'un mois du terme, les gens nous prennent pour des fous, mais c'est mon bliss avant le bliss d'emmener ce ventre dans l'endroit préféré au monde de ma maman. Être là, entourée des miens, signifie tellement. C'est bon, ce bébé peut venir quand il veut à présent.
1er septembre 2021. Mon accouchement se passe comme ma grossesse, d’une sérénité extrême. Les premières contractions à 2h00 du matin, l'arrivée à l'hôpital à 5h00, et la naissance de Céleste à 10h49. Je la remercie tant ça a été facile, ce qui fait beaucoup rire le corps médical. Céleste, « qui vient du ciel », ce prénom est une évidence. Céleste, notre étoile, celle qui permet à la famille au sens large de s’agrandir à nouveau après tant d’années de pertes. Je me souviens comme si c’était hier de la voir entourée d'une grosse couverture (les pyjamas du sac de maternité étaient tous trop petits...), pour la première fois dans les bras de Thomas. Puis d'avoir le privilège, après des mois où les visites sont interdites à cause de la Covid, de la voir dans les bras de son papy, puis dans ceux de mon frère, son parrain. La nana de ma vie, entourée des trois hommes de ma vie et de ses trois étoiles "mère-veilleuses".
“ J’ai parfois entendu que parler du “ciel” était trop mystique pour les enfants, pas assez concret. Ce n’est pas mon avis. “
Depuis la naissance de Céleste, j’évoque simplement l’existence de sa « mamy du ciel ». Je lui dis tous les soirs que sa petite étoile veille sur elle. Depuis, quand elle pose des questions, je lui en parle assez simplement en lui expliquant que “la maman de maman est partie dans le ciel parce qu’elle était très malade, d’une maladie que les médecins n’ont plus pu guérir, et qu’elle est partie dans le ciel pour ne plus avoir mal”. Je lui explique qu’elle me manque mais qu’elle veille sur nous. J’ai parfois entendu que parler du “ciel” était trop mystique pour les enfants, pas assez concret. Ce n’est pas mon avis. J’aime penser que ma mère y est, et j’aime que ma fille puisse se la représenter ainsi. Si j’avais un conseil à donner, je dirais d’en parler aux enfants de manière à se sentir le plus à l’aise possible car ils posent beaucoup de questions, il ne s’agit pas de dérouler une fois l’explication parfaite (possiblement soufflée par un.e psychologue) et de ne plus pouvoir être à l’aise au quotidien dans les multiples « pourquoi » et « comment » des petits 😉
“ (...) je réalise maintenant l’impact qu’à la perte de ma maman sur ma maternité. “
Jusqu’à ce que je devienne maman, j’ai souvent minimisé mon histoire en me disant qu’il y avait plus grave, que d’autres y avaient été confrontées avant moi, mais je réalise maintenant l’impact qu’à la perte de ma maman sur ma maternité. C’est en découvrant Bliss et en écoutant plusieurs histoires comme celle de Kenza, que j’ai osé m’autoriser à admettre que oui, c’est compliqué, et que non, tout le monde ne vit pas des épreuves si douloureuses. La maternité, c’est un bonheur intense et un tourbillon aussi de réaliser que mes interrogations de jeune maman vont rester sans réponse de ma propre maman. Un manque sur lequel il a été essentiel pour moi de mettre des mots. Un manque qu’il a fallu tenter de combler en me reconstituant mes propres points de repères, ailleurs, différemment. J’ai créé mon petit gang de femmes pour pouvoir tenir et m’épanouir. Ce sont les autres femmes de la famille et mes propres copines. Chacune m’aide à sa façon que ce soit pour garder Céleste, la récupérer à l’école, organiser des sorties avec nos enfants du même âge. Je crois qu’on ne compense pas l’absence d’une maman, on fait en sorte que ça fonctionne sans elle, parce qu’on n’a pas d’autres choix."
Les tips de Florine
Se constituer des ancrages auprès de figures féminins dès le début de la grossesse si les repères familiaux ne sont plus présents.
Se faire accompagner d'un petit réseau de femmes et de surtout leur confier ce qu’on attend d'elles.
La pensée freestyle de Florine
J’avais toujours promis d’écrire l’histoire de ma maman, cette guerrière qui a déjoué tous les pronostics, celle qui a dansé avec le cancer car elle n’aimait pas dire qu’elle se battait contre… Mais finalement c’est mon histoire que j'ai écrite aujourd’hui, avec une grosse pensée pour ma maman, ma grand-mère et ma marraine. Un partage comme une thérapie personnelle et un message pour que d’autres femmes sachent à quel point il est important de se constituer son propre réseaux de femmes.
----
Tu as peut-être une histoire aussi forte à raconter que le témoignage cancer de Florine. Si c’est le cas, écris-nous à ton tour pour nous la partager !