Un post-partum sous antidépresseurs - Pauline

Un post-partum sous antidépresseurs - Pauline

Alors que son bébé dort, Pauline, elle, ne trouve plus le sommeil. Ses nuits sont blanches et les journées un combat de tous les instants pour ne pas tomber d’épuisement. Le manque de repos poussé à l’extrême frôle le supplice et fait naître chez elle des crises de panique associées. Elle veut que ça s’arrête. Elle s’arme alors de courage pour accepter ce qui, pour elle, est impensable : un post-partum sous antidépresseurs. 

🚩 Que tu sois enceinte ou pas, en post-partum ou pas, si tu ressens une fragilité, de l’épuisement extrême ou un état émotionnel qui t’empêche d’avancer comme tu veux et de faire les choses qui habituellement te font plaisir, n’hésite pas à consulter un.e pro de santé en qui tu as confiance. Tu peux aussi composer le 31 14. 

Je m'appelle Pauline, j'ai 31 ans.  
Je vis en Picardie. Je suis chargée de communication pour une marque de prêt-à-porter. 
Ma famille est composée de Fabien, mon amoureux avec qui je vis depuis bientôt 7 ans, Sacha, notre merveilleux petit garçon de 12 mois, et Sparrow, notre adorable chien qui partage nos vies et nos aventures depuis 5 ans. 

La première fois que mes yeux se posent sur Fabien, c’est un coup de cœur immédiat ! Ça se passe dans la boutique où je travaille et où il vient parfois faire son shopping. Je trouve ce mec incroyable par sa douceur et sa sérénité. Il m'apaise, sa voix est comme du velours qui m'enveloppe. Je le côtoie comme ça pendant 3 ans puis je quitte cette boutique pour reprendre des études. On se retrouve par hasard, sur les réseaux sociaux, via une photo de concert, avant de se donner rendez-vous un 9 décembre. Là, on discute, on chante, on rit jusqu’au lendemain matin où on finit par petit déjeuner et ne plus se quitter. 

À l’époque, je décolore mes cheveux pour cacher que je suis rousse. J’ai longtemps souffert de harcèlement scolaire à cause ma couleur naturelle. Lui me dit : "mais tu es folle de faire ça ! Ta couleur naturelle est magnifique, j'aimerais beaucoup que tu redeviennes qui tu es vraiment !" Et là, je me dis : "wow, ok, le mec m'aime telle que je suis..." C'est la première fois que je me sens aussi comprise, écoutée, aimée. On est heureux et la vie passe sans que jamais nous ne parlions sérieusement du sujet d’avoir un bébé. Puis un jour, j'ai 30 ans et soudainement tout se réveille !

Juin 2023. On se lance et on part en vacances à la montagne. Je perds un tout petit peu de sang et j'ai une intuition : ne serait-ce pas un saignement de nidation ? Quoi que... c'est le premier mois qu’on tente, ça ne peut pas être ça, ça serait quand même un peu trop beau... Le médecin m'a parlé de 10 mois en moyenne... Et j’ai l’impression que les gens mettent du temps... L’éventualité d’un début de grossesse ne me quitte pas... Pour faire le test, j’attends la fin des vacances, qu’on soit de retour chez nous, dans notre nouvelle maison qu'on a investie il y a un mois à peine. Instantanément, un magnifique "+" apparaît. Plein d'émotions me traversent le corps et le cœur : la joie, la surprise, la peur, l'impatience. Je ne tiens plus, il faut que je le dise à Fabien. Je lui saute au cou de joie pour lui annoncer la folle nouvelle.  
 

 

Octobre 2023. Je vis quand même les trois premiers mois en apnée, persuadée que c'est trop beau, que normalement c'est plus long, qu'il va forcément se passer quelque chose. Et puis les trois premiers mois passent et j’investis enfin cette grossesse. Je me sens puissante, belle, forte. Je suis en train de créer un être humain ! Je suis impressionnée de ce que mon corps est capable de faire tout en continuant ma vie tranquillement. J'adore prendre des bains et observer mon ventre faire des vagues, des "poc poc". Je me masse énormément et c’est comme ça que j’aime communiquer avec mon fils. Oui, j'attends un petit garçon, il s'appellera Sacha et ce n'est un secret pour personne, tout le monde connaît déjà son prénom. 

  (...) j'ai vécu le harcèlement scolaire (...) On minimise dans notre société l'impact énorme qu'ont les réflexions sur la couleur des cheveux roux. “ 

Je me sens sereine, même si dans un coin de ma tête trotte une peur ridicule pour beaucoup mais bien réelle pour moi : et si mon bébé avait ma couleur de cheveux, s’il était roux ? Le harcèlement que j'ai connu enfant puis adolescente, à cause de cette couleur de cheveux, est encore ancré en moi. On minimise dans notre société l'impact énorme qu'ont les réflexions sur la couleur des cheveux roux, c'est comme si ce n'était pas grave. La couleur de peau, on ne touche pas. Mais la couleur des cheveux, c'est léger, ça n'a rien à voir, on peut en rire. Je me suis habituée à tellement de "blagues" qui ont accompagné toute mon adolescence. J'ai connu la boule au ventre et l’humiliation. Un jour, au collège, deux filles plus âgées que moi m'ont même enfermée dans les toilettes et m'ont frappée la tête contre le mur pour la simple raison que j’étais rousse. Des années plus tard, cette raison me glace toujours le sang.
 

Je refuse de transmettre mes peurs et mes angoisses à mon bébé. Mon histoire ne sera pas la sienne.  

Comme ma crainte que mon enfant hérite de ma couleur de cheveux est bien présente, je décide de me faire suivre pendant ma grossesse. Je refuse de transmettre mes peurs et mes angoisses à mon bébé. Mon histoire ne sera pas la sienne. Je prends donc rendez-vous avec une psychologue qui va me suivre pendant les 9 mois. Je me sens plutôt confiante. Elle me donne des clés pour gérer mes angoisses par la respiration. Elle m’aide à m'ancrer dans le présent, en me concentrant sur des éléments concrets. Et je dois dire que durant ma grossesse, je me sens puissante. Je poursuis mes activités quasi "comme si de rien n'était". Jusqu’au dernier jour, je marche énormément avec mon chien en forêt : 10 kilomètres au compteur par jour, même la veille d'accoucher !  

15 mars 2024. 5 heures du matin. Aïe... ça tire dans le bas du ventre, ça ne doit pas être ça, je tente de me rendormir. Hum... ça fait quand même très mal. J’ai entendu dire que si ce sont de fausses contractions, ça passe avec une douche. Faisons ça… ça ne passe pas. Je perds le bouchon muqueux.  

9 heures du matin, même jour. Bon, je vais quand même télécharger une application et calculer les contractions... « Rendez-vous en maternité immédiatement » Ah, ça devient sérieux ! Nous arrivons à l’hôpital. Mon col est dilaté à 3, c’est suffisant pour la péridurale que j’accepte. Nous filons donc directement en salle de naissance. La journée se passe sans douleur et nous ressentons une adrénaline folle à l'idée de rencontrer notre bébé ! 

19h51. Notre rencontre avec Sacha. Je me souviens de la chaleur de son tout petit corps posé sur le mien, et de ma sidération. Je savais que je portais un bébé mais, maintenant, il est là, en chair et en os, c’est absolument incroyable. L’amour, ça donne donc ça : un petit être qui ouvre ses yeux pour nous regarder. Je l’observe. Il est si beau. Ses cheveux sont humides mais je crois deviner qu’il a ma couleur de cheveux. Cette couleur que j’aime tant mais qui me ramène aussi à tant de souffrance. Je suis submergée par la peur. La peur qu'il traverse tout ce que j'ai traversé, enfant. L'humiliation, le rejet, le harcèlement. Là où je sens que mon travail thérapeutique m'aide, c'est que je réussis rapidement à faire la distinction entre lui et moi. Mon histoire ne sera pas la sienne. Son histoire est à écrire. Et je sais déjà que je vais redoubler d'attention et d'écoute pour qu'il puisse toujours nous parler, toujours sentir que nos oreilles sont attentives et que nous sommes prêts à entendre et agir.
 

antidepresseurs post-partum

Je commence à allaiter Sacha, c’est très difficile. J’ai mal, très mal. Et puis ma montée de lait n’arrive que 8 jours après sa naissance, alors je dois tirer mon lait et faire du DAL* tout en allaitant mon bébé. Sacha est un grand mangeur mais il tète très lentement. J’en arrive à lui donner le sein toutes les heures pendant 30 - 40 minutes. Alors, au fur et à mesure, la nuit, je finis par « m’interdire » de dormir. À quoi bon, de toute façon, je serai réveillée dans 30 minutes, si ce n'est pas moins. Se développe alors très vite un cercle vicieux qui me mène à une période très sombre. Je ne dors plus. Plus du tout. En me couchant le soir, j’ai peur de ne pas réussir à m’endormir, et en me levant le matin, de ne pas pouvoir m’occuper de Sacha. Littéralement, j’ai peur de tomber de fatigue avec lui dans les bras. J’aimerais véritablement m’endormir sauf que quand on veut absolument dormir et qu’on regarde l’heure, toutes les dix minutes, on ne s’endort jamais. Finalement, j'abandonne l'allaitement au bout de 3 semaines et demi. Sacha, lui, dort de mieux en mieux, mais moi, toujours pas. Mon corps tout entier n'est qu'angoisse.

" Je suis comme dans un tunnel sans fin, sans lumière, je me sens prisonnière. " 

Quand Fabien reprend le travail, au bout d’un mois, je me sens très seule, et je me confronte à mes pensées. Je réalise qu’elles sont très sombres. Je suis comme dans un tunnel sans fin, sans lumière, je me sens prisonnière. Les journées sont longues et angoissantes, je suis en bas d'une montagne à gravir et je ne m'en sens pas la force. Je suis persuadée que les mères que je croise sont de “vraies mères, mais moi, j'en suis incapable. La limite est franchie lorsque, une fois de plus, j’enchaîne plusieurs nuits blanches et que, le lendemain, l'idée que tout s'arrête ne me fait plus peur, voire me rassure. Je ne veux pas forcément mourir, je veux que mes pensées cessent. À ce moment-là, je crois que je préfèrerais souffrir physiquement. Je suis dans un désespoir profond auquel se mêlent culpabilité, honte, incompréhension de moi-même et colère contre moi-même. Et puis, un jour, à bout de forces, je m’écroule au sol, devant Fabien et Sacha. Je n'arrive plus à respirer, à penser, à vivre. L'impression d'étouffer, l'impression de n'être plus capable de rien. Je demande à Fabien de m'amener aux urgences psychiatriques. 

  (...) je me dis : ‘ça y est, je suis folle !’ “ 

Je suis reçue par une femme très froide, dans une pièce qui l'est tout autant, aux murs  blancs. Il n’y a qu’une table avec deux chaises. Et là, je me dis : "ça y est, je suis folle !" J’expose mon histoire, mes ressentis. Le diagnostic est sans appel : "grosse dépression post-partum". Vu mon état, je dois passer par un traitement à base d’anxiolytiques et d’antidépresseurs. Ce soir-là pourtant, je refuse qu'elle me prescrive ce traitement. Je ne suis pas prête, du tout. Toute ma vie j’ai entendu qu’on pouvait faire autrement. Je suis alors persuadée qu’il suffit de vouloir s’en sortir pour arriver à s’en sortir... Je suis alors sûre que je vais reprendre le dessus sans personne et sans aucune aide médicamenteuse. Mais je continue de vivre des nuits complètes sans sommeil, à redouter le matin et apparaissent des crises de panique associées. Les crises peuvent survenir à tout moment de la journée. Généralement, ça part d’un tas de pensées négatives qui s'entrechoquent dans mon esprit, comme un feu d'artifice de projections atroces. Là, je sens que je perds pied, mes jambes ne me portent plus, je m'écroule au sol. J'ai la tête qui tourne et de gros vertiges et, surtout, je manque d'air. C'est un peu inexplicable une crise de panique. C'est un feu intérieur qui vous consume, on préférerait tout vivre que de vivre ça. On ne maîtrise plus ses pensées, on ne maîtrise plus son corps et on lutte contre ce qu'on ressent, ce qui rend le moment encore plus difficile. Je finis par avoir peur de tomber d’épuisement, avec mon bébé dans les bras. Et un jour, après une énième crise, la pire de toute, je finis par me dire que je n’ai plus le choix. Ce jour-là, je prends la décision de me soigner, pour mon fils, pour Fabien, pour moi.

  Pour moi, prendre ça, des antidépresseurs, c’est quasiment mourir. “ 

Mai 2024. Je commence le traitement. Pour moi, prendre ça, des antidépresseurs, c’est quasiment mourir. Et il faut voir le regard des gens quand je dis que je ne bois pas d’alcool parce que je prends des antidépresseurs, j’ai l’impression qu'ils ont un mouvement de recul, j’ai l’impression de passer pour la folle du village. Et puis parfois, on me demande pourquoi ?” C’est « que du bonheur » normalement, un enfant. En plus, j’ai un enfant en pleine santé. En plus, j’ai eu beaucoup de facilité à l’avoir. En plus, nous n'avons pas de difficultés particulières, qu'elles soient financières ou familiales. On me dit : « Ah, tu faisais de l’hypervigilance, c’est ça ? Tu as peur pour ton bébé... » Non, ce n’est même pas ça et ça ne fait qu’accentuer un peu plus ma culpabilité. Mes difficultés ne viennent pas d’une peur pour mon bébé mais bien d’une anxiété généralisée et de cette transition du statut d’enfant vers celui de mère. Jusqu'à la fin de mes jours, je serai responsable d’un autre être que moi et cette réalité est très violente et vertigineuse pour moi. 

Le traitement met un mois à se mettre en place et il calme progressivement mes angoisses tandis que la thérapie panse mes plaies. Mes beaux-parents ont un appartement sur la Côte d’Opale, c’est une chance, alors je m’y échappe. L'air de la mer me fait un bien fou, et d'ailleurs, je me surprends à savourer à nouveau les choses très simples de la vie : marcher sur la plage avec mon bébé en porte-bébé, jouer au sol avec lui, me réjouir du vent dans les arbres, d’un rayon de soleil, sentir l'air iodé sur ma peau... Je reprends confiance en moi et en la vie. Je retrouve le sommeil, l'appétit et je me mets à faire des petits projets : partir en vacances, reprendre la course à pied. La vie est plus douce, plus sereine, mes pensées deviennent légères et simples. 

  C’est vrai : pourquoi on prendrait tout ce qu'il faut pour la souffrance physique mais pas pour la souffrance mentale ? “ 

Pendant toute cette période, Fabien est d'un soutien sans faille, c’est mon pilier. C'est aussi grâce à lui que j'ai accepté de prendre ce traitement. Il a su trouver les mots pour me rassurer et surtout pour dédramatiser le fait de prendre des antidépresseurs. C’est vrai : pourquoi on prendrait tout ce qu'il faut pour la souffrance physique mais pas pour la souffrance mentale ? Savoir qu'on va mal, qu'on en a besoin et l'accepter, je pense vraiment que c'est une clé très puissante dans la guérison. Aujourd'hui, nous sommes un couple solide mais très fatigué. Le positif, c'est qu'on sait l'un comme l'autre qu'on peut s'aider et s'écouter. Le point négatif c'est toute cette fatigue cumulée qui fait qu'on reste fragiles (et ce bébé qui ne fait toujours pas ses nuits à un an bientôt ! ^^) Mais j'ai pleine confiance en l'avenir et en notre famille. Et je travaille très dur pour enfin avoir pleine confiance en moi. 

 


La maternité m'a fait sombrer mais elle m'a avant tout guérie. Mon fils m'a guérie, même si ce n'était pas son rôle. Maintenant, c'est à moi de prendre soin de lui. Reprendre le travail m’a fait un bien fou. Là encore, il y a une vraie culpabilisation autour de la maman qui n'est pas vraiment triste à la fin de son congé maternité. "Ah, ça doit être tellement dur de reprendre le boulot !" Eh bien non, ce n'est pas dur de reprendre, pour moi. J'ai besoin de ça. J'ai besoin d'un rythme, d'autre chose que la maison.  

Au départ, prendre des antidépresseurs, c'était un échec pour moi. Avec le recul, prendre ce traitement, au-delà de m'avoir sauvée, a aussi été la décision la plus courageuse que j'ai prise.

Il y a encore un vrai tabou autour des antidépresseurs, anxiolytiques et autres traitements médicamenteux et c'est pour cette raison que je voulais prendre la parole. Je voulais dire que si vous sentez que vous ne parvenez pas à prendre le dessus sur vos pensées : faites-vous aider. Pour moi, plus rien n'avait de sens et ce tunnel si noir me semblait éternel. Au départ, prendre des antidépresseurs, c'était un échec pour moi. Avec le recul, prendre ce traitement, au-delà de m'avoir sauvée, a aussi été la décision la plus courageuse que j'ai prise. Et je l'ai prise pour moi, pour ma famille.

 

Les tips de Pauline 

C'est ok de prendre un traitement.  
C'est ok de voir un psy.  
C'est ok de construire sa relation à son enfant sur "plus longtemps" que certaines autres mamans.  

La pensée freestyle de Pauline 

Merci pour les roses. Merci pour les épines. 

* Dispositif d'aide à l'allaitement
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