En septembre, Marine nous écrivait une lettre à cœur ouvert pour nous parler de Victor, son bébé de 7 mois emporté par une méningite à pneumocoque, foudroyante et agressive. Nous avons été bouleversées par chacun de ses mots, tous si justes face à cette maladie parfois mal diagnostiquée, car peu courante, avec des symptômes peu spécifiques. Alors, avec l’accord de Marine et de son compagnon Quentin, nous avons souhaité rendre publique cette lettre pour sensibiliser chacun.e à la méningite, ses symptômes et l'une de ses formes les plus graves. Voici l'histoire de Marine, son ode à Victor.
🚩 Ce témoignage comporte des passages sensibles sur la prise en charge médicale d'un nourrisson, notamment en réanimation, et sa fin de vie. Il est donc à lire avec la plus grande des prudences si vous êtes concerné.e.s ou sensibles au sujet.
Chère équipe Bliss, Chère Clémentine,
Je m’appelle Marine. Je suis en couple avec Quentin depuis plus de trois ans. Ce genre d’histoire qui commence après des ruptures et des remises en question difficiles, et qui rend tout plus intense et plus rapide. En trois ans, nous avons voyagé des mois entiers, j’ai emménagé chez lui, puis nous avons acheté un appartement et avons eu un enfant. Un magnifique petit garçon, Victor. En trois ans, nous avons aussi vécu l’indicible. Une méningite à pneumocoque, d’origine bactérienne, a un jour frappé violemment et bruyamment à notre porte et n’a laissé aucune chance à notre bébé. Il s’est pourtant battu, mais il s’est envolé un matin de janvier, la veille de ses 7 mois. Evoquer la maladie et la mort dérange. Encore plus lorsqu’il s’agit d’un enfant. Mais nous avons appris à nos dépends que cela fait aussi partie de la vie. Notre histoire est tragique, mais elle est belle. Les méningites (car oui il y en a plusieurs) sont des maladies malheureusement méconnues. Évidemment elles font peur. Les cas sont rares, heureusement, mais encore bien trop nombreux. Il y a évidemment des vaccins et c’est une très belle avancée. Mais il y a encore du chemin. La sensibilisation est la clé, pour nous tous, parents, proches, amis, mais aussi pour les médecins. Ce sont des maladies souvent mal diagnostiquées, comme pour Victor, et dont l’évolution peut être tragique. Il faut donc savoir écouter son instinct. Si j’avais connu les symptômes, j’aurais pu confronter le manque de considération du médecin.
Oui, il y a la maladie, la peur, la douleur, le vide, l’ennui. Mais rien de tout ça ne définit Victor, et rien de tout ça n’entachera l’amour que nous lui portons. Victor nous a appris l’amour et l’essence de la vie, sa fragilité et sa préciosité. 2024 a anéanti notre famille, notre vie, notre insouciance. Pourtant nous sommes encore là, tous les deux, ou tous les trois autrement, avec une partie de nous que l’espoir maintient debout. Il reste deux mois à 2024... alors vous : désir, espérance, chance, si vous passez par-là, on aimerait bien un coup de pouce.
Je vous partage aujourd’hui le journal intime du combat de Victor, des derniers jours de sa vie et des premiers jours du reste de la nôtre. J’espère que vous verrez dans ce récit la force de ce petit Monsieur bien courageux et de l’amour inconditionnel et infini qui nous lie. En écrivant ces lignes, j’ai une pensée pour Théa, Constance, Elio et tous nos amours envolés. Mais aussi pour Louise et Victoria, ces guerrières des temps modernes.
Merci pour votre temps, votre amour et votre bienveillance.
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Le lundi 15 janvier au soir, nous étions tous les deux, Victor et moi. Quentin, lui, était en déplacement professionnel. Super programme habituel : jeux dans le bain puis câlins sur la table à langer avant d’enfiler le pyjama. Dîner englouti. Victor adorait manger et découvrir de nouvelles saveurs. Une photo de ce dîner le montre avec un grand sourire, tenant fièrement ses deux petits bols vides. Puis le moment de lire des histoires, instant de pure curiosité et de rires. Il adorait toucher les pages, les tourner, regarder les couleurs… Ensuite le câlin du soir, avec des chansons et des mots doux pour l’accompagner toute la nuit. Des bisous, encore des mots d’amour et dodo. Tout s’est déroulé à merveille.
Le mardi 16 janvier, comme j’étais seule, je me suis levée plus tôt que d’habitude pour être prête au moment de son réveil et profiter de lui. Victor s’est réveillé. Il était d’une si belle humeur. Un petit soleil. Victor était en garde partagée. Une semaine chez nous, une semaine chez l'autre famille. Je travaille à mon compte, ce jour-là j’étais en télétravail et Victor était gardé à la maison. J’ai pu en profiter pour lui faire quelques bisous volés durant la journée. En fin de matinée, avant d’aller déjeuner avec un ami, j’ai pris Victor, je l’ai porté à bout de bras, vers le ciel, je l’ai fait voler et tournoyer. Il a ri... L’après-midi est passé, j’ai fait quelques achats pour lui. C’était les soldes. Je lui ai acheté trois tenues et un bob. Son père adore les bobs, alors je trouvais que c’était un clin d’œil plutôt chouette. En fin d’après-midi, je suis rentrée à la maison, la nounou avait Victor dans les bras, il dormait. Je lui ai montré les tenues que j’avais achetées pour lui, et nous avons parlé ensemble de son premier anniversaire, le 28 juin prochain... Elle a reçu un coup de fil, j’ai donc pris Victor dans mes bras et tout a commencé… Il a vomi. Comme une purge. J’ai vu qu’il n’était pas bien, je l’ai emmené dans sa chambre. Il était bouillant, j’ai pris sa température. Il avait de la fièvre, 40°. J’ai essayé de ne pas paniquer, tant pour lui que pour moi. Je lui ai donné du Doliprane. J’ai fait couler un bain, je l’ai mis dedans le temps de réfléchir à la décision que j’allais prendre. J’ai d’abord appelé SOS Médecins. Victor me regardait fixement, sans bouger, avec un regard intense et vide à la fois. Comme s’il me disait que quelque chose n’allait pas. Son teint était pâle. Alors j’ai finalement appelé un taxi. J’ai demandé à sa nounou de l’habiller le plus rapidement possible, je l’ai pris en écharpe et nous sommes partis tous les deux, direction les urgences pédiatriques de Robert Debré. J’ai prévenu Quentin. Son train pour rentrer avait été annulé, il avait réussi à en prendre un autre, il était en chemin pour Paris.
Une fois arrivés aux urgences, nous sommes passés dans une pièce adjacente à la salle d’attente, deux infirmières ont pris ses constantes. La température avait baissé entre-temps. Je leur ai rappelé qu’il avait vomi, que son teint n’était pas celui d’habitude, qu’il n’avait pas le même tonus que d’habitude, qu’il était éteint, qu’il avait les yeux dans le vague. Elles nous ont dirigés vers une autre salle d’attente au bout d’un couloir. J’apprendrai plus tard, qu’au vu des constantes de Victor, ces deux infirmières avaient pris la décision de nous diriger vers des consultations sans rendez-vous plutôt que de nous faire entrer aux urgences. À Robert Debré, comme dans d’autres hôpitaux, pour définir l’urgence ou la gravité du patient et le diriger dans le service, les infirmières attribuent une note entre 1 et 5 : 1 étant une urgence absolue et 5 étant une indication à une consultation médicale sans rendez-vous. Elles ont attribué un 5 à l’état de Victor… Après quelques heures d’attente, un médecin généraliste nous a reçus. Il a lu le compte rendu des infirmières, a ausculté Victor très rapidement. Trop rapidement ? Il l’a fait s’asseoir en me demandant si d’habitude il tenait assis, j’ai répondu que oui. Pendant la consultation, Victor avait du mal à rester stable en position assise. Il se plaignait des mouvements que le médecin lui faisait faire, il poussait des petits gémissements. J’ai souligné au médecin que lors des rendez-vous avec sa pédiatre, Victor avait toujours été souriant et plutôt curieux de ce qu’elle lui faisait faire. Mais encore une fois, aucune réaction de la part du médecin. Il a fini par conclure que c’était un virus. Pour reprendre ces termes « il y en a beaucoup en ce moment ça doit être l’un d’eux, rien d’important. » Je lui ai pourtant tout décrit et que je sentais que quelque chose n’allait pas. Il m’a dit de prendre un rendez-vous trois jours plus tard avec la pédiatre de Victor pour surveiller. Quentin est arrivé au moment où je sortais de la consultation. Nous sommes rentrés à la maison. Victor était épuisé. Il dormait contre moi. Sur le chemin du retour, j’ai pris un rendez-vous avec sa pédiatre, le vendredi. Le premier créneau disponible. Victor n’était pas bien. Je lui ai donné un biberon et du Doliprane. Il réclamait beaucoup les bras. Jusqu’à 2 heures du matin, j’alternais entre son couffin de bébé à côté de notre lit et des câlins dans notre lit. Puis finalement je nous ai installé un lit par terre dans sa chambre pour tous les deux. Nous avons dormi ensemble. Victor et moi, côte à côte, jusqu’au matin. Je me réveillais souvent pour voir si ça allait. Parfois il avait les yeux ouverts, je lui remettais sa tétine, je posais une main sur son ventre, je lui tenais la main.
Le mercredi 17 janvier, il s’est réveillé difficilement. Il était éteint, son teint était toujours très pâle, très jaune. Victor était faible. Je lui ai donné son biberon du matin qu’il n’a pas fini. En lui donnant et en lui caressant la tête, j’ai noté que sa fontanelle était gonflée. Je savais que quelque chose n’allait pas, sans savoir la gravité de ce qui était en train de se passer. J’ai appelé le cabinet pédiatrique pour savoir s’il n’y avait pas un créneau dans la journée. Il y avait eu un désistement chez une autre pédiatre que celle de Victor, à 17h30, j’ai donc pris ce créneau en réclamant cependant de pouvoir venir plus tôt si cela était possible. Victor a passé la matinée à dormir et, les rares fois où il était éveillé, il semblait ailleurs, comme déconnecté. Lui qui mangeait tout le temps avec appétit, refusait la nourriture solide et finissait à peine les biberons que je lui proposais. Quand je lui changeais la couche, je sentais qu’il était gêné, il gémissait. D’habitude, allongé sur sa table, Victor jouait avec ses mains, ses bras, ses pieds, il souriait. Alors que je tentais de travailler, j’alternais avec des câlins sur le canapé et dans notre lit pour de courtes siestes avec lui. Il dormait et je le regardais. Mon si beau bébé. Je tenais Quentin informé de l’état de Victor au fil de la journée. Vers 15 heures, j’ai décidé de rappeler le cabinet pédiatrique pour savoir si je pouvais venir plus tôt. J’ai eu l'une des médecins qui m’a dit qu’elle n’était pas disponible avant et qu’il fallait attendre le rendez-vous. J’ai attendu... Puis j’ai préparé un sac, pris Victor en écharpe et on est partis vers le cabinet pédiatrique. À peine arrivés, j’ai posé Victor sur la table d’examen et immédiatement la pédiatre a émis une suspicion de méningite et a appelé le SMUR de Robert Debré. J’ai appelé Quentin pour qu’il quitte le travail et qu’il nous rejoigne. J’essayais de rassurer Victor qui était toujours allongé, je lui parlais, je le câlinais, je l’embrassais pendant qu’il s’endormait. J’ai demandé à la pédiatre s’il fallait le tenir éveillé. Elle m’a dit que ce n’était pas grave s’il s’endormait. Parfois quand il me regardait, il avait un léger strabisme de l’œil gauche. Il avait du mal à respirer par moments.
Au bout de trois quarts d’heure, le SMUR est arrivé, en même temps que Quentin. La pédiatre du SMUR a tout de suite pris en charge Victor. Elle a aussi conclu à une méningite. Elle lui a administré les premiers antibiotiques, a essayé de stabiliser son état. Elle a contacté Necker pour qu’ils se préparent à son arrivée où seraient prévus scanner, ponction lombaire et service de réa'. À chaque injection ou prise de sang, j’expliquais à Victor ce qu’il se passait. En voyant qu’il avait des difficultés à respirer, la pédiatre du SMUR a pris la décision de l’intuber. Il fallait l’endormir. Un camion de pompier avait été appelé pour que le niveau d’oxygène soit suffisant pendant sa prise en charge au Cabinet et pendant le transfert vers Necker. C’est la dernière fois que nos regards se sont croisés. C’est la dernière fois que je suis certaine qu’il m’ait entendue. C’est la dernière fois qu’il a serré ses petits doigts autour des miens. Je lui ai évidemment dit que je l’aimais et à quel point il était courageux. La pédiatre du SMUR lui a administré une première dose de kétamine, puis une deuxième. Il s’est endormi. Avant l’intubation, les pompiers nous ont demandé, à Quentin et à moi, si nous voulions sortir. Mais il nous était impossible de le laisser seul, entouré d’inconnus. La pédiatre du SMUR a alors intubé Victor, puis l’a mis sous oxygène. L’un des infirmiers présents avait réussi à créer une première voie pour les antibiotiques, mais pour le transfert il en fallait une deuxième. Il n’arrivait pas à trouver de veine. Après de nombreuses tentatives, ils ont décidé conjointement de lui faire ce qu’on appelle une intra-osseuse. Ils ont perforé l’os de la jambe gauche de Victor pour pouvoir lui administrer d’autres médicaments avant de le déplacer. Encore une fois, les médecins nous préconisaient de sortir. Ils cherchaient à nous préserver de moments difficiles. Mais nous voulions rester auprès de lui. Depuis le début, nous respections leurs directives sans les déranger lors des soins, alors ils ont accepté notre présence avec beaucoup de douceur et de bienveillance. J’étais tout proche de Victor. Je continuais de lui parler, de lui tenir la main, de le caresser. Puis il a été placé sur un brancard, bien trop grand pour lui. Vers 21 heures, nous avons quitté le cabinet pédiatrique. Je suis montée dans le camion avec Victor, Quentin nous suivait en scooter. Trois motards de la police ouvraient le chemin. Nous sommes arrivés à Necker à 21h30, Victor a d’abord passé un scanner pour vérifier qu’il n’y avait pas d’œdème cérébral et mettre de côté une possible neurochirurgie. Il a ensuite été emmené au service de réanimation pour des examens et une ponction lombaire. Durant toute la nuit, nous avons réclamé des informations... La réanimation est un monde à part. Le temps n’est plus linéaire. Il s’étire, s’arrête. Nous étions en train de le découvrir. Nous savions que Victor passait des examens complémentaires, mais on ne pouvait rien nous dire de plus, il fallait attendre. Et il a fallu attendre le petit matin pour que la médecin de nuit nous annonce la terrible nouvelle. Il s’agissait d’une méningite à pneumocoque foudroyante, d’origine bactérienne. Victor était en choc septique sévère. Son pronostic vital était engagé. Le couperet était tombé. J’ai tout de suite demandé comment Victor avait pu attraper cette bactérie. La cause la plus probable, selon elle, était qu’il avait été en contact fréquent et rapproché avec un patient atteint d’une maladie orl (rhino-pharyngite, conjonctivite, otite…). Je suis entrée dans un état de rage. En effet, Victor était gardé avec une petite fille de son âge, en garde partagée à domicile. En rentrant des vacances de Noël, le 8 janvier, elle était malade et ses parents avaient eu du mal à trouver un rendez-vous chez un pédiatre. J’avais donc demandé à la nounou de les tenir éloignés l'un de l'autre tant qu’elle n’avait pas vu de médecin. En fin de semaine, elle avait finalement été sous traitement. Face à mon état de colère, les médecins de jour ont voulu tempérer ma réaction en précisant que c’était une possibilité parmi d’autres, et que malheureusement nous allions devoir vivre avec cette inconnue. Personne ne pourrait jamais nous dire ni quand, ni qui avait transmis cette bactérie à Victor.
Le jeudi 18 janvier au matin, nous avons donc découvert Victor dans la chambre au bout du couloir du service de réanimation de Necker. Il était en couche, intubé. Il avait des cathéters au niveau du cou et de l’aine pour lui administrer les médicaments. Il était maintenu en coma artificiel pour protéger son cerveau dont l’activité était surveillée en continu. Pendant dix jours, Victor a subi des batteries d’examens quotidiens : doppler, prises de sang, surveillance des pupilles, scanner, IRM, électroencéphalogrammes ponctuels puis continus. Des tests sanguins ont permis de révéler que le sérotype de la bactérie était rare et très agressif, mais non pris en charge dans le schéma vaccinal. Victor n’a eu aucune chance face à cette maladie. Nous sommes restés avec lui, une chambre au sein de l’hôpital nous a été prêtée. Nous n’avons pas quitté le service de réanimation pendant dix jours. Nos familles et des amis nous apportaient de quoi manger et de quoi nous changer. Nous passions nos journées à lui lire ses livres préférés, à lui chanter ses chansons préférées, à le câliner, à lui parler, à le masser. Le premier jour, nous n’avons informé que nos familles proches et quelques amis. Mais au bout de deux jours, comprenant la gravité de l’état de Victor, nous avons soulevé une armée. Une armée de près de 150 personnes, une armée d’amour autour de lui. De la famille, des amis, des collègues, des médecins qui s’étaient occupés de lui, ma sage-femme, des gens éclairés. De toute croyance. Nous voulions que chacune de ces âmes puisse transmettre un amour infini à Victor pour l’accompagner au mieux. D’autres armées ont été créées en parallèle. Des gens que nous ne connaissions même pas. Sur plusieurs continents. Ils nous ont permis d’y croire davantage. Ils nous ont portés et permis de nous lever chaque matin avec une rage au ventre pour accompagner Victor. Une fois l’état de Victor stabilisé, il a passé une première IRM qui a montré les premiers ravages de la maladie.
Le samedi 20 janvier, Victor a eu des convulsions légères. Puis, au fil des heures, les crises d’épilepsie se sont intensifiées et sont devenues de plus en plus fréquentes. Nous avons passé une nuit à compter et décrire les crises aux infirmières de garde pour gérer les traitements. Une crise, très longue, a amené les médecins à mettre Victor sous kétamine en continu. Chaque jour des tests sanguins montraient que l’infection ne cessait de faire des hauts et des bas. Cela multipliait les risques de séquelles et d’évolutions tragiques de la maladie.
Le lundi 22 janvier, nous avons rencontré pour la deuxième fois la neurologue en charge du suivi de Victor. Elle nous a proposé ce jour-là de nous montrer l’IRM que Victor avait passé. Il y avait de multiples taches blanches qui représentaient les premières lésions. Elles étaient très diffuses dans tout le cerveau, deux au niveau du tronc cérébral. Elles étaient petites. Il y avait également deux zones blanches, à l’arrière du cerveau, qui étaient quant à elles importantes et interrogeaient la neurologue. Il était difficile de dire s’il s’agissait de zones d’ores et déjà atteintes, ou du pus lié à l’infection. La neurologue nous avait dans un premier temps rassurés en disant que le cerveau d’un tout-petit était une source infinie de surprises et de régénérescence. Alors nous y avons cru. Pendant son hospitalisation, sa température variait chaque jour, de 35 à 39°C. Nous le couvrions et le découvrions en fonction. Il désaturait quotidiennement. Les discussions avec les médecins devenaient de plus en plus lourdes, de plus en plus graves. Nous avons fini par intégrer qu’il y aurait « un avant et un après ». Nous avons commencé à imaginer la vie avec Victor, autrement. Nous étions prêts à tout pour l’accompagner, qu’importe les séquelles, pour qu’il soit aussi épanoui et heureux que possible.
Le mercredi 24 janvier, les légers soubresauts de ses doigts, auxquels nous étions confrontés jusque-là, ont laissé place à des mouvements plus marqués au niveau de tous ses membres. La vision la plus difficile a été lorsque les crises ont commencé à toucher sa tête. Son cou se crispait, sa bouche s’affaissait et ses paupières s’ouvraient sous la tension de ses muscles. Son visage se transformait. Les médecins ont réussi à maîtriser les crises avec des traitements à très hautes doses. Ils s’étonnaient de la capacité de Victor à supporter des doses aussi extrêmes. À titre d’exemple, un des médicaments avait une dose vingt fois supérieure à ce qu’un bébé de son âge pouvait tolérer d’ordinaire. Victor s’accrochait. Les médecins ont finalement décidé d’autoriser les visites. Ne comprenant pas cette décision, je leur ai demandé si ce choix était motivé par notre état de fatigue ou par l’état critique de Victor. Selon eux, la décision était pour nous, pour nous soulager… alors nous l’avons prise comme tel mais il en était bien autrement, évidemment. Nos familles ont pu passer du temps avec lui... Les médecins, encore plus inquiets, nous ont informés qu’une deuxième IRM était finalement prévue, le lendemain. C’est là qu’ils ont annoncé à Quentin que le traitement était en échec thérapeutique pour l’épilepsie. Victor, si tenté qu’il se réveille un jour, ne pourrait pas vivre correctement. Aucun traitement en continu ne serait compatible avec une vie quotidienne « de qualité ». Quentin a compris ce jour-là que c’était fini. Il leur a dit qu’il était incapable de me transmettre cette information. Alors les médecins lui ont conseillé de ne rien me dire. Pourquoi avoir fait ce choix ? Encore aujourd’hui nous sommes bien incapables d’y répondre. Quentin, lui, est quelqu'un de pragmatique, il les questionnait, les interrogeait. Moi, je suis une spirituelle, une émotive. Peut-être que dès le début du combat, les médecins ont senti que rien ni personne ne m’empêcherait d’espérer, tant qu’on ne posait pas le mot FIN. Sans doute qu'ils n’ont rien voulu me dire parce qu’ils n’avaient pas encore les mots pour que je puisse l’entendre. Mais, après ça, Quentin a changé de comportement et je ne comprenais évidemment pas pourquoi. Aujourd’hui, je sais qu’il était abattu et démuni face à cette information trop lourde à porter. Moi, ce jour-là, je pensais que j’étais seule à croire à l’impossible... Victor a passé une seconde IRM en début d’après-midi. Nous avons dû attendre le lendemain pour avoir un compte rendu de l’examen.
Le vendredi 26 janvier, dans la matinée, j’étais seule avec Victor dans sa chambre. Il était toujours dans le coma. Je lui parlais et d’un seul coup sa respiration s’est intensifiée et s’est accélérée. Il était pourtant sous respirateur, et c’est la machine qui donnait le rythme depuis dix jours. Mais j’ai cette sensation qu’il a voulu me montrer qu’il était là, à ce moment-là. Puis à 12h30, les médecins nous ont convoqués. Leur décision était prise. Je m’y suis d’abord opposée, croyant qu’ils nous laissaient le choix. Mais non. En plus d’avoir été extrêmement inquiets concernant les signes vitaux anormaux de Victor depuis son hospitalisation, la bactérie continuait sa propagation. Les traitements ne permettaient pas à l’infection de s’arrêter ou de se stabiliser. Les traitements antiépileptiques ne suffisaient pas à contenir les crises. L’IRM montrait de multiples lésions. Le tronc cérébral était atteint avec des thrombophlébites diffuses visibles (avc), et des séquelles cognitives et motrices sévères. Ses poumons avaient également été touchés par l’infection. Ce serait de l’acharnement thérapeutique. Les séquelles étaient déjà beaucoup trop graves. Ils nous ont annoncé qu’ils arrêtaient les traitements et nous laissaient le temps nécessaire pour lui dire au revoir. Les infirmières nous ont proposé de remplacer son petit lit à barreaux par un grand lit pour que nous puissions nous allonger à côté de lui. Elles ont retiré les fils des traitements, elles n’ont laissé que ceux pour la sédation et le respirateur. Nous avons passé la nuit à ses côtés. Quentin dans le fauteuil à côté du lit, et moi avec Victor. J’ai continué à lui faire des massages toutes les quatre heures, comme depuis dix jours, jusqu’au matin. Les premiers rayons du soleil sont apparus, ce 27 janvier. C’était notre dernier matin tous les trois. Nous lui avons lu des histoires, comme tous les autres jours, et lui avons chanté des chansons. Nos familles sont venues pour l’embrasser. J’ai dit à Quentin que j'étais incapable de décider de son départ, et lui non plus. Il a alors convenu avec la médecin de garde qu’elle prendrait elle-même la décision de l’heure. Elle, cette médecin qui avait admis Victor aux urgences dix jours plus tôt, entrait dans la chambre quelques heures plus tard... Nous devions lui dire au revoir. Il était impossible que Victor parte seul dans un lit, entouré de médecins qu’il ne connaissait pas. Je me suis alors déshabillée et j’ai demandé à le prendre dans mes bras. En peau à peau. Je l’ai pris face à moi, sa tête posée sur mon cœur, au creux de mon cou. Il aimait cette position, depuis sa naissance, pour les siestes et les balades. Sa peau si douce, ses joues à bisous, sa bouche jolie, ses mains rebondies, son ventre tout rond. Tout contre moi. Avec Quentin nous lui parlions, nous lui chantions des chansons. Quentin le caressait. Puis elle a retiré le tube du respirateur. Je lui ai dit que je l’aimais, qu’il avait le droit de s’envoler, qu’il s’était battu comme un lion, qu’il avait le droit à la paix. Quentin était à côté de nous, il lui parlait. Nous lui avons dit qu’il n’avait pas à avoir peur, alors que nous étions terrorisés. Je lui disais qu’il pouvait partir sans crainte, qu’il ne serait pas seul, qu’il fallait qu’il aille le plus haut possible, qu’il ne fallait pas qu’il ait peur de nous laisser là. Il était si beau, si vaillant. Il partait. Non sans bruit, non sans mouvement, non sans odeur. Sa respiration se faisait douce, puis faible. Il était là, posé contre moi. Comme s’il dormait. Mon tout petit bébé. Mon grand, si grand, petit Monsieur.
Le 27 samedi janvier, Victor s’est envolé dans mes bras, la veille de ses 7 mois. Nous apprendrons quelques jours plus tard qu’il était 11h49. Ce matin-là, il s’est endormi, à tout jamais. Ce matin-là, une partie de moi est morte aussi et s’est envolée avec lui. La semaine qui a suivi a été terrible. Il a fallu organiser les au revoir. Nous avons organisé une célébration en son nom. Grâce à des amies, Victor était entouré et recouvert de fleurs, par milliers. Le chœur de l’église était multicolore, Victor en son cœur. Nous étions plus de 200 autour de lui. C’était un jour gris, mais le soleil faisait des apparitions quand nous évoquions son prénom.
La méningite à pneumocoque. Cette saloperie de maladie. Cette maladie, apparemment la plus grande peur des pédiatres, est trop souvent mal diagnostiquée. Si les infirmières et le médecin de Robert Debré avaient pris en compte l’état extérieur et physique de Victor, et m’avaient écoutée, plutôt que de se focaliser sur ses constantes... Si le médecin était descendu de son piédestal, nous avait regardés avec empathie et compassion, et avait choisi de nous accorder 5 minutes, juste 5 minutes de plus pour comprendre... Si j’avais pleuré, parlé plus fort, crié, hurlé pour me faire entendre... est-ce que l’histoire aurait été différente ? Est-ce que Victor aurait été pris en charge à temps ? Est-ce que Victor serait encore en vie ? Comment serait-il aujourd’hui ?
La méningite à pneumocoque est une maladie traumatisante pour ceux qui restent. Elle nous détruit. Mais ce que nous voulons garder, c’est Victor. Victor était une lumière, il comprenait tout. Depuis toujours. Le 27 juin 2023, en fin d’après-midi j’avais rendez-vous avec un acupuncteur pour préparer mon accouchement qui devait avoir lieu trois semaines et demi plus tard. Mais en fait j’étais prête. Sur la table du praticien, je parlais à Victor, je lui avais dit qu’il pouvait arriver quand cela lui semblait bon. Il avait entendu, il avait compris. Dix minutes après, je perdais les eaux, sur cette même table. On était prêts, tous les deux. Quelques heures plus tard, le travail commençait.
Victor est né le 28 juin 2023, à 3h45. Il n’a pas crié, il n’a pas pleuré. Moi non plus. Quand on s’est regardés, un univers s’est ouvert. C’était comme si je le connaissais depuis toujours. Comme si mon âme l’attendait. Notre relation était simple, elle l’a toujours été. On se complétait, on se comprenait. On était faits pour se retrouver, ici dans cette vie. Quentin et moi ne le remercierons jamais assez de nous avoir choisis. Nous sommes si honorés et si fiers d’avoir été ses parents, même furtivement. Il nous a tant offert, il nous a tant appris. Sa venue dans notre monde nous a accomplis.
Victor est notre trésor, il est notre soleil.
Il ne pleurait pas beaucoup, il ne dormait pas beaucoup. Mais il riait, jouait, bougeait. Il était curieux, aimait le monde, mangeait de tout. Il était dynamique, actif, joyeux, aventureux. Il avait toujours les yeux grand ouverts. Le regard doux et d’un gris intense. Il avait ce « je ne sais quoi » dans le regard, il communiquait déjà. Il grandissait très vite. Durant ces dix jours à Necker, il a grandi, ses cheveux ont poussé. Il ressemblait à un petit garçon. Il commençait tout juste à vouloir apprendre à manger seul, il s’est tenu debout lors de notre dernier week-end tous les trois. Il nous régalait de tous ses éclats de rire. Il nous imitait avec des bruits de bouche parfaitement contrôlés. Il avait cette douceur dans le regard ou ce trait d’humour pour apaiser un moment désagréable. Une petite main posée sur la joue ou un joli rictus en pleine nuit pour nous faire accepter son insomnie. Il adorait être dehors. Il passait ses balades le nez en l’air et les yeux vers le ciel. Il adorait regarder les nuages et observer les arbres. Il aimait feuilleter ses livres et écouter de la musique. Il adorait le moment du bain, et se réjouissait de pouvoir y ajouter un assaisonnement personnalisé tout particulier. Il était drôle.
Victor était grand, si grand. Une âme immense. Pleine de couleurs.
Chaque soir, en le couchant, depuis qu’il dormait dans sa chambre, je lui glissais des mots d’amour à l’oreille. Aujourd’hui les bras vides et le cœur meurtri, chaque soir je continue de le lui dire les mêmes mots d’amour.
Sa pédiatre, tout comme les médecins de Necker, nous a dit qu’avec la gravité de l’infection et du choc septique, Victor serait parti en quelques heures s’il n’avait pas été pris en charge par le SMUR. Il serait parti chez nous. Il s’est battu pour nous, je le sais. Il nous a laissé du temps pour comprendre et appréhender son absence.
Chacun a ses croyances. Nous avons les nôtres.
Il nous a apporté le plus beau des cadeaux. Sa venue dans notre monde. Son amour pur et infini. Il nous a appris l’amour, le vrai, et à quel point la vie est précieuse. Nous savons, et dans les mauvais jours qui sont encore nombreux nous nous y accrochons plus fort encore, qu’il est là, partout autour de nous. Il nous fait des signes, à nous de les recevoir, et fait tout ce qu’il peut pour nous accompagner.
Avec Quentin, nous essayons d’avancer. Comme nous lui disions à l’hôpital, un pas après l’autre. La haine est devenue colère, puis rancœur, et s’estompera peut-être au fil des mois. Le temps fait son œuvre sur notre indulgence et notre résilience. La culpabilité est, quant à elle, bien plus dure à dompter. Nous tentons de réapprendre à vivre, sans lui, ou plutôt avec lui, autrement. Sans doute le pire apprentissage de l’existence. Nous vivons dans ce nouveau monde. Parfois violent, parfois cruel, parfois indifférent, parfois indélicat, parfois inconfortable, parfois maladroit, parfois muet, parfois curieux, parfois attentif, parfois tendre, souvent aimant et bienveillant. Nous vivons dans ce nouveau monde en parallèle des autres, dont la vie reste inchangée, et essayons de nous y réintégrer un pas après l’autre.
Victor n’était que vie.
Alors nous essayons, tant bien que mal, d’honorer cette part de lui.
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❗ Il est important de rappeler que dans ce récit nous abordons une méningite à pneumocoque, d'origine bactérienne, dont l'infection est très sévère et très rare. Des vaccins existent et protègent contre les formes les plus courantes, mais malheureusement ils ne couvrent pas tous les sérotypes.
Notre volonté avec l'histoire de Victor n'est pas d'inquiéter les parents mais d'informer sur les symptômes de la méningite pour qu'elle soit identifiée et prise en charge le plus rapidement possible, quel que soit son degré de gravité.
Évidemment si tu as des questions plus précises sur la méningite, le mieux est encore d'en parler avec le ou la pédiatre de ton enfant.
Les symptômes qui peuvent alerter :
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Vomissements importants en jet
- Fièvre importante
- Somnolence
- Visage inexpressif
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Regard figé
- Gémissements
- Comportement inhabituel
- Hypersensibilité articulaire
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Teint inhabituellement pâle, presque jaune
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Fontanelle gonflée
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Apathique, sans tonus
- Raideur dans la nuque
- Eruptions cutanées (taches rouges ou bleues)
- Manque d'appétit
Pour les enfants plus âgés, il y a également :
- Maux de tête violents
- Hypersensibilité à la lumière
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