Clémence a 25 ans quand elle sent cette “boule” au niveau de son sein droit... Une grosseur qui ne l’inquiète pas... après tout, elle n’a que 25 ans... à cet âge-là, il ne peut rien lui arriver de bien grave... Passé le choc de l’annonce de son cancer, ce n’est pas la peur de la mort qui la saisit mais la crainte de ne pas pouvoir un jour donner la vie. Pour nous, elle remonte le fil de son histoire, se souvient du bon, même dans les moments les plus éprouvants, et raconte comment elle a fini par devenir maman. Parce que, oui, la vie peut être douce même après un cancer du sein.
“Je m’appelle Clémence, j’ai 36 ans.
Je suis notaire, je vis à Arras, près de Lille.
Ma famille est composée de Maxime, mon mari, et de nos deux enfants Victoire et César.
Tout a commencé par une grosseur dans la poitrine dont je m’aperçois lors d'une séance de sport avec une amie. Une "boule" appuie sur ma brassière. Ce n'est pas douloureux mais je sens cette grosseur gênante dans ma poitrine. Je ne m’inquiète pas outre mesure mais j'en parle le lendemain à ma mère (qui est biologiste, donc dans le milieu médical). Elle me dit de consulter "au cas où". Je prends alors un rendez-vous gynéco plusieurs semaines plus tard (je fais passer mes rendez-vous professionnels avant, je n'imagine rien de grave, je laisse un peu trainer les choses). Lors de ma consultation gynécologique, ma médecin sent effectivement une "boule" assez volumineuse au niveau du sein droit. Elle me dit que c'est certainement bénin. Elle me conseille néanmoins de faire un examen supplémentaire "pour me rassurer”, un examen qui découle sur une biopsie avant que ma gynécologue m’annonce plusieurs semaines après : "Vous avez un cancer du sein, il va falloir choisir un hôpital et être prise en charge rapidement car à votre âge le cancer est agressif". C’est un choc. Un cancer à 25 ans, personne n'imagine une telle annonce.
Je choisis l'hôpital Gustave Roussy pour ma prise en charge et c'est à partir de là que le diagnostic est posé précisément : "cancer du sein droit RH-, HER2+", des termes un peu barbares que je ne connais pas. C’est aussi là que débutent les traitements : chimiothérapie néoadjuvante* pour réduire la tumeur avant l’intervention chirurgicale, puis ce sera mastectomie et enfin radiothérapie.
“ Les médecins me parlent immédiatement de 'préservation de la fertilité' “
Bizarrement, à l'annonce du cancer, je n'ai pas peur pour ma vie mais je suis tout de suite inquiète pour ma fertilité. Je n’ai que 25 ans mais je sais (depuis toujours, je crois) que je veux des enfants et que je ne vois pas ma vie sans. D’ailleurs, c'est la première question que je pose à l'oncologue : "est-ce que les traitements m'empêcheront de tomber enceinte ?" (la vraie première question, en réalité, c’est : "est ce que je vais vraiment perdre mes cheveux ?" et ... oui). On me rassure, on me dit qu’on va tout faire pour préserver ma fertilité mais que oui, les traitements sont agressifs et auront donc un impact indéniable sur ma fertilité. Les médecins me parlent immédiatement de “préservation de la fertilité”. Alors avant de commencer la chimiothérapie et les traitements lourds, j'ai la chance d'avoir une préservation ovocytaire réalisée à l'hôpital parisien Jean Verdier où j’ai deux opérations sous anesthésie générale pour obtenir... seulement trois ovocytes congelés. Ce n’est pas beaucoup surtout que l’un d’eux ne survit finalement pas à la congélation. Je tombe donc à seulement deux ovocytes congelés que je décide d’appeler "findus et croustibat". Mais comme deux ovocytes ne semblent pas suffisants pour le corps médical, la préservation ovocytaire est complétée par une congélation de cortex ovarien (c’est la couche supérieure de l’ovaire qui contient les follicules, à savoir les amas de cellules qui vont produire les ovocytes, ndlr), pour accroître mes chances de tomber enceinte. À l’époque, tous les voyants sont au rouge, mais mon désir d’avoir des enfants est plus fort que tout, plus fort que l’annonce de ce cancer. Au fond de moi, je sais que je serai maman un jour et je mise énormément sur "findus et croustibat".
Maxime, je le rencontre avant l'annonce du cancer. À l’époque, il fait partie de ce petit cercle d'amis proches à qui je dis tout, tout de suite. Il fait partie de ce “village bienveillant” que j’ai bâti autour de moi. Auprès des autres, je ne veux pas ébruiter mon cancer, je ne veux pas que l'on s'apitoie sur mon sort ou que l'on prenne des nouvelles "juste pour ça". À l'époque, Maxime, lui, suit de loin les annonces / évènements / rebondissements / opérations, avec beaucoup de bienveillance. À ce moment-là de ma vie, je suis avec un autre homme formidable qui fait toujours partie de ma vie. Aujourd'hui, Maxime, c'est ma "Force Tranquille", toujours le mot juste, il sait me rassurer.
Dès le début de notre histoire d'amour, Maxime et moi savons que nous voulons des enfants mais nous nous laissons le temps de vivre de beaux moments rien qu’à deux (des restaurants, beaucoup de voyages, de sorties, de week-end improvisés).
Depuis les dernières opérations, je n’ai pas de moyens de contraception et je ne fais plus attention à mes cycles. Je pense que tomber enceinte va être un parcours du combattant pour moi, d’autant plus qu’on me découvre de l’endométriose, une fois les traitements terminés. Des douleurs atroces, rien n’y fait et je suis mise sous ménopause artificielle puis opérée. Et puis quelques mois après l’opération, je tombe enceinte naturellement, VICTOIRE ! (Un prénom qui coule de source pour nous).
J’ai dû finalement accoucher par césarienne car pré-éclampsie avec hellp syndrome, il fallait bien un petit « couac médical » mais j'ai été très bien accompagnée malgré ce « code rouge » (je devais accoucher dans les 15 minutes !). Quant à « findus » et « croustibat », mes précieux ovocytes congelés, je ne les ai finalement pas utilisés puisque je suis également tombée enceinte naturellement de mon fils, César, 18 mois après ma fille. J’ai donc souhaité en faire don. Ça a été un parcours du combattant pour les obtenir et je sais que le parcours pour devenir maman peut l’être aussi alors je souhaite de tout cœur que ces ovocytes servent un jour à d’autres femmes qui en ont besoin.
J'aimerais aussi dire qu'on peut allaiter en ayant un seul sein, et c’est l’une de mes grandes fiertés ! Surtout que les médecins n'ont jamais réellement su me répondre quand je leur demandais leur avis. Et comme je suis assez fonceuse et pas trop du genre à "essayer pour voir" dès que j’ai eu en tête l'idée d'allaiter d'un seul sein, j’y ai mis tout mon amour et toute mon énergie pour y arriver. Et comme je ne savais pas vers qui me tourner, en dehors du corps médical, je suis allée sur Instagram et le compte d'Alice Detollenaere (compagne du nageur Camille Lacourt, ndlr). Je savais qu'elle était maman et qu'elle avait eu également un cancer du sein. Je me suis surprise à oser la contacter en message privé pour lui demander si elle avait allaité d'un seul sein. Elle m’a répondu tout de suite, m’a dit qu’elle n’avait pas fait ce choix mais qu'elle pouvait demander à sa communauté si certaines avaient tenté l'expérience. J’ai reçu plein de messages de soutien, dont ceux de trois filles en particulier qui ont allaité avec un seul sein. Nos échanges ont été précieux pour moi. Comme quoi les réseaux sociaux ont du bon !
“ (...) j’étais comme les autres mamans non malades (...) En allaitant mon bébé de mon seul sein, j’ai eu l’impression de lui donner le meilleur de moi-même, ce que j’avais de plus cher au monde ! ”
Mais il est vrai aussi que le moment venu, allaiter d’un sein n’a pas été si facile, surtout que j'ai eu des crevasses et que je ne pouvais pas me "soulager" en proposant l'autre sein. Mais je me suis accroché, les filles à la maternité m'ont encouragée et je l’ai pris comme un petit défi. Puis tout a fini par se mettre en place et j'ai même renouvelé l'expérience pour mon fils, César. Et j'ai adoré cette période d'allaitement avec lui. Ça me manque parfois... Je me sentais vivante, proche de mon bébé, ses petites mains sur mon sein, ses petits bruits de bouche, sa tête repue après les tétées, j’étais en fusion avec lui, et j’étais comme les autres mamans non malades. En allaitant mon bébé de mon seul sein, j’ai eu l’impression de lui donner le meilleur de moi-même, ce que j’avais de plus cher au monde !
Avant de tomber enceinte, j’ai eu recours à une reconstruction mammaire par lambeau de gracilis (on prend un muscle de ma cuisse pour reconstruire mon sein droit). C'est l’une des opérations les plus lourdes que j'ai subie mais celle qui m'a permis de me réapproprier mon corps en ayant à nouveau deux seins quasi identiques. J'ai un tatouage artistique 3D du mamelon et de l'aréole qui a été fait par Alexia Cassar (@the_tetons_tattoo_shop). Elle a été formidable, bienveillante et d'un professionnalisme hors pair, je la recommande à toutes les femmes opérées. Grâce à cette double reconstruction (lambeau de gracilis + tatouage), je me suis de nouveau sentie femme. Je me sens bien en sous-vêtements et cela n'a jamais posé de problème dans mon couple, au contraire, maintenant ça fait partie de moi, c'est ma force et je n'ai pas honte de dire que j'ai été “reconstruite”. Avec les grossesses, ma poitrine a évolué donc je me ferai peut-être réopérer un jour pour harmoniser le tout mais pas tout de suite.
Je crois que c'est important de donner de l'espoir et de dire que, oui, on peut « bien vivre » son cancer du sein à 25 ans. “Bizarrement”, je garde de bons souvenirs de cette période de ma vie, riche en rencontres et en anecdotes. Je me souviens de la réaction de mes parents lorsque l’on m’a rasé la tête à l’hôpital : « Oh mais ton crâne est magnifique ! » Je me souviens de ma perruque et fidèle alliée que j’appelais « Mireille ». Je me souviens de mon tatouage semi-permanent des sourcils contre l’avis médical. Je me souviens de moi tombant dans l’escalier après ma première chimio, mes parents pensant que j’avais fait un malaise alors que j’avais juste des chaussettes qui glissaient... Je me souviens des copains qui ne savaient pas que je portais une perruque et qui me prenaient par le cou, je sentais alors ma perruque bouger et j’imaginais leurs têtes en me voyant chauve ! Je me souviens de la sensation d’avoir une pastèque congelée sur la tête durant la chimio... Je m’explique... Les traitements de chimio sont très lourds (des heures et des heures d'attente, d'injections). Pendant les injections, le corps médical préconise de mettre un casque réfrigérant sur la tête, ce qui a pour but de réduire la chute de cheveux. Le casque a pour effet de réduire l'afflux sanguin dans le cuir chevelu et de ce fait, il réduit la quantité de produit qui affectera les cellules des cheveux. Alors à chaque séance de chimio, je gardais ce casque glacé sur la tête pendant des heures (il en va de même pour les gants glacés sur les mains et les pieds pour conserver les ongles et qu'ils ne tombent pas). Ce casque, c'est un peu de la torture mais j’avais tellement peur de perdre mes cheveux ou que mes cheveux ne repoussent pas bien que je le gardais pendant des heures (même si c’était insupportable). Quand on me demandait quelle sensation cela faisait, je répondais toujours : "tonds-toi les cheveux et mets une pastèque au congélateur, ensuite tu la mets sur ta tête et tu la gardes le plus longtemps possible." Voilà pour l'histoire de la pastèque ! Et des anecdotes comme celle-là, j'en ai des centaines de cette période. L'humour et la dérision m'ont énormément aidée.
Dix ans après le cancer, j’arrive seulement à en parler, à mettre des mots sur mes émotions. Mon parcours de vie a été semé de challenges et je sais qu’il y en aura d’autres mais je ne changerais ma vie pour rien au monde, et quand je vois mes deux enfants aujourd’hui, je remercie LA VIE tous les jours ! J’ai presqu’envie d’en faire un troisième, on ne dit pas « jamais 2 sans 3 » ?!
La pensée freestyle de Clémence
Le fait d’écrire un peu de mon histoire me fait énormément de bien ! Je suis convaincue que le moral, l’humour et la bonne humeur jouent un rôle essentiel dans la guérison de tous les maux. J'espère que ce récit pourra aider certaines femmes qui ont des peurs, des doutes, des incertitudes quant à la maternité une fois le cancer du sein passé !
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Comme ce témoignage grossesse et cancer du sein à 25 ans, tu as peut-être à ton tour une histoire forte à partager. Alors écris-nous à ton tour !
* par TAXOTERE HERCEPTINE PERTUZUMAB.
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