Durant la grossesse puis au cours de la période du post-partum, le poids fluctue, le corps change, le regard sur soi aussi. Ces modulations parfois difficilement contrôlables peuvent être déroutantes et vécues comme une véritable épreuve pour certaines femmes enceintes qui ont l’impression de ne plus avoir de prise sur leur corps (ce qui est en partie vrai). Ces chamboulements physiques, possiblement difficiles à accepter, déclenchent parfois des troubles du comportement alimentaire, qu’on nomme TCA. Il arrive aussi que ces dysfonctionnements, potentiellement corrélés à d’autres fragilités psychiques, soient déjà présents lorsqu'une grossesse survient. Ils peuvent alors s’aggraver ou, à l’inverse, s’atténuer pour préserver la santé du bébé.
Un TCA, c’est quoi exactement ?
Les troubles du comportement alimentaire peuvent prendre plusieurs formes, entre l’anorexie (se restreindre à l’excès jusqu’à stopper de s’alimenter dans certains cas extrêmes), la boulimie (manger de façon compulsive en grande quantité puis compenser l’excès par des vomissements, un jeûne ou encore une activité physique intense), et l’hyperphagie (ingérer de façon excessive des aliments sans besoin physiologique et sans compenser ensuite).
Chacun de ces troubles peut se vivre à des degrés d’intensité différents, allant de restrictions modérées à des privations extrêmes, d’épisodes de jeûne à des phases de surconsommation en un temps record, de vomissements provoqués à des séances de sport excessives frôlant parfois l’épuisement. Comme la dépression, les TCA peuvent correspondre à des périodes de vie et s’installer par vagues et par roulements. En effet, certaines personnes naviguent d’un trouble alimentaire à l’autre, les phases se succédant.
Les femmes enceintes souffrant de TCA ont de forts risques de malnutrition et de carences (notamment en fer) mais également des risques d’hypertension et de prééclampsie. Au-delà de leur fragilité physique, c’est aussi leur santé mentale qui est impactée et mise à rude épreuve durant la grossesse. Les conséquences sur le fœtus (retard de croissance intra-utérin, prématurité et complications néonatales) sont elles aussi une réalité qui est souvent source d’une grande culpabilité.
Il est essentiel de rappeler que les troubles du comportement alimentaire sont une maladie et qu’ils ne sont pas à prendre à la légère. Comme toute maladie, il est nécessaire de les traiter et d’être accompagnée par des professionnels de santé spécialisé.e.s dans les TCA, pour en guérir.
Les TCA durant la grossesse, encore trop tabous
Il est très difficile de disposer d’études et de chiffres qui permettent d’estimer le nombre de femmes touchées par un TCA durant leur grossesse et leur post-partum. Une réalité pourtant qui concernerait en moyenne 5 à 7 % des femmes enceintes*, prévalence qui aurait tendance à augmenter en post-partum pour atteindre les 11%, soit plus d’une femme sur 10... Ce n’est pas rien, 1 femme sur 10. Alors pourquoi n’existe-t-il pas une meilleure sensibilisation aux TCA, ainsi qu’un accès plus visible aux ressources et aux parcours de soins possibles ?
Parce que les TCA sont encore un tabou dans notre société. Il est difficile d’en parler. C’est souvent quelque chose que les femmes vivent en étant cachées du regard des autres, dans l’intimité de leur foyer, avec un sentiment de culpabilité prégnant et difficile à maîtriser, et la crainte d’être jugées. Dans ce contexte, se tourner vers un pro de santé peut sembler une montagne impossible à gravir et l’isolement dans lequel les femmes sont parfois plongées n’aide pas à oser parler, à oser vers le premier pas pour une prise en charge. Et puis dans le parcours de soins de la maternité, les soignants sont eux-mêmes parfois mal formés et mal sensibilisés aux TCA, ils n’ont pas les clés pour les identifier et orienter les patientes vers une prise en charge adaptée, alors même que des psychiatres sont parfois intégré.e.s aux maternités.
Alors pour que les femmes et les (futures) mères qui pourraient être concernées et fragilisées par des TCA se sentent moins seules et mieux prises en compte, il nous semble primordial de participer à une meilleure sensibilisation des TCA durant la grossesse et le post-partum, en mettant en lumière le témoignage de deux femmes qui ont accepté de parler de leurs maux sans filtre ni tabou.
Joyce Jonathan, guérir d’un TCA, enceinte
Dans cet épisode, la chanteuse Joyce Jonathan se confie sur les épreuves de l'anorexie et la boulimie qui ont marqué ses débuts dans la musique puis qui ont dicté sa vie pendant presque 10 ans, avant que la maternité ne vienne la sauver de cette maladie. Elle raconte les répercussions de cette maladie sur sa vie de femme, cette grossesse qui l’a libérée de son obsession pour son corps, et le chemin qui l’a menée vers la guérison.
Célia, anorexie durant la grossesse
Dans cet épisode vous entendrez comment les traumatismes d'une enfance régie par des secrets bien trop lourds à porter pour une petite fille, ont impacté toute sa vie jusqu’à sa maternité et une IVG qui finira par raviver toutes ses blessures passées, la faisant progressivement basculer dans l’anorexie. Une anorexie avec laquelle elle se battra durant sa grossesse qui, cette fois, arrivera heureusement à son terme.
Attention, cet épisode traite de troubles du comportement alimentaire mais aussi d’inceste, il est donc à écouter avec précaution pour celles qui seraient sensibles sur ce sujet, merci beaucoup.
TCA et grossesse, l’importance d’une prise en charge adaptée et globale
Il est crucial que les soins soient adaptés et centrés sur la patiente enceinte, et qu’ils prennent en compte ses besoins spécifiques et son histoire personnelle. Au-delà du nutritionniste qui peut apporter un cadre à la prise des repas, un soutien émotionnel avec le travail d’un psychologue, voire d’un psychiatre, peut contribuer à limiter et réduire le risque de complications pendant et après la grossesse. Evidemment, un.e gynécologue et un.e sage-femme font également partie de l’équation pour toutes les questionnements liés au bébé et à la grossesse en elle-même.
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), qui repose sur une technique de thérapie à court terme pouvant aider les gens à trouver de nouvelles façons de se comporter en modifiant leurs schémas de pensée, fait partie des solutions utilisées pour aider les femmes enceintes souffrant de TCA à modifier leur comportement alimentaire et leur relation à leur corps pendant la grossesse.
Des associations et des organisations dédiées existent en France. Elles disposent de ressources, de groupes de parole et peuvent faire le lien avec des pros de santé spécialisés dans la prise en charge périnatale. On pense à la Maison des Femmes (Saint-Denis), à la FFAB (Fédération Française Anorexie Boulimie) ou encore à Enfine qui offre des groupes de soutien en ligne. C’est bien de les avoir en tête car elles peuvent être un premier point de contact pour trouver du soutien.