Louise lutte depuis toujours contre un trouble de l’anxiété qui la pousse à imaginer les pires scénarios face à une situation inconnue. Étonnamment, lorsqu’elle tombe enceinte, sa grossesse n’active aucune angoisse. Au contraire, elle l’en libère. Mais ces 9 mois de sérénité vont malheureusement se terminer par une rencontre avec une sage-femme malveillante qui la fera à nouveau sombrer dans une crise d'angoisse suffisamment violente pour l'amener à un black-out, lui volant ses premiers instants de maternité.
“Je m'appelle Louise, j'ai 30 ans.
Je suis Champenoise mais je vis maintenant dans les Yvelines. Je suis responsable d'un laboratoire de formulation cosmétique pour une marque bio franco-japonaise.
Ma famille est composée de mon mari Quentin, de notre fille Sasha qui a 7 mois, de mon chat Mystique, de mes parents ainsi que de mes deux sœurs et de mon frère.
Je rencontre Quentin, à 18 ans, quand je quitte La Champagne pour faire une licence de chimie à la faculté d'Orsay. À l’époque, je sors de 3 ans d’histoire avec mon ancien petit ami du lycée et je veux une relation courte et sans attache. Mais on est rapidement attirés l'un vers l'autre, tout va très vite. Finalement, la relation d'un soir s’est transformée par une vie ensemble depuis 12 ans, un mariage il y a 2 ans, et un bébé depuis 7 mois !
J'ai 7 neveux et nièces, et Quentin devient vite Tonton Quentin avec un grand T, adoré de tous. Tout de suite, je vois en lui celui avec qui je veux faire ma vie et le père de mes enfants. Après notre mariage, je n'ai plus que ça en tête. Et puis en l’espace de trois ans, je perds tous mes grands-parents. J’ai alors très peur du temps qui passe, de l'âge et de la santé de mes parents... Après tous ces deuils, on a envie d'apporter de la vie dans la famille.
“(...) plus la situation est incontrôlable, plus elle devient une source d'anxiété pour moi.”
J'ai toujours été terrifiée par la grossesse et l'accouchement car le milieu médical est quelque chose de très compliqué à appréhender pour moi qui suis quelqu’un de très anxieux. Chez moi, l'anxiété se traduit par le fait de tout anticiper et d'imaginer tous les scénarios possibles face à une situation inconnue ou avec laquelle je ne suis pas hyper à l'aise. Une façon pour moi d’essayer de me sentir prête à tout. Sauf qu’au final je me sens carrément dépassée et submergée à cause de mon cerveau qui gamberge et ressasse en boucle. Par exemple, aujourd’hui, une de mes plus grosses sources d'anxiété, c’est de prendre un rendez-vous médical chez un.e pro de santé que je ne connais pas. Je vais chercher 1000 avis sur Internet, regarder le trajet 1000 fois avant d'y aller, répéter mon discours avant le rendez-vous, imaginer les pires maladies et finir par annuler le rendez-vous. En fait, plus je gamberge, moins mes pensées n’ont de sens ! Conséquences de mes divagations : nuits blanches, stress, crises d'angoisse (dans les pires cas). Parfois mes angoisses m’enferment quand je finis par refuser des sorties, des voyages et par me priver d'expériences. Bref, plus la situation est incontrôlable, plus elle devient une source d'anxiété pour moi. Et parmi les situations incontrôlables, il y a l’accouchement, évidemment ! Car on a beau se préparer et imaginer tout un tas de situations et de scénarios, on ne peut jamais prévoir ce qui va véritablement se passer 😉
“Durant ma grossesse, je suis comme libérée de mon anxiété et cela me rend très heureuse.”
Étonnamment, ma grossesse ne me rend pas anxieuse. Certainement parce que j'écoute beaucoup (Bliss 😉), lis et regarde plein de sujets sur la maternité, ce qui me met très en confiance. Mais c'est surprenant à quel point je peux être plus forte que mon anxiété, moi qui pourtant lutte contre depuis si longtemps. Bizarrement, je ne me sens pas stressée, je ne me prends pas la tête à ressasser des scénarios catastrophes ou à anticiper chaque rendez-vous médical... Je ne sais pas l'expliquer, mon bébé doit m’apporter une forme de sérénité. Et durant ma grossesse, je suis comme libérée de mon anxiété et cela me rend très heureuse.
Le jour de l’accouchement, avant d'arriver à la maternité, je ne me sens pas du tout angoissée. Ma seule appréhension est la possibilité d'être redirigée vers un autre établissement par manque de places. Ce serait une situation non anticipée dans un lieu que je ne connais pas, que je n'ai jamais visité, donc une grosse source d’anxiété. Mais, dès mon arrivée, on me prévient que je peux rester. Ouf ! je peux me concentrer sur mes contractions. Pas de stress non plus pendant la pose de la péridurale, ni durant le monitoring. Je suis en confiance, je suis préparée. Mon projet de naissance est entre les mains du personnel soignant et j’ai bien expliqué mon anxiété et mes besoins pour y remédier : calme, explications claires et détaillées sur ce qui se passe. En gros, plus j'en sais, moins je m'imagine de choses, moins je stresse !
“Une nouvelle sage-femme entre. Changement d'ambiance, direct.”
Pendant tout le travail, j‘ai à mes côtés de super sages-femmes qui ont très bien compris la situation. Elles me parlent calmement et m'expliquent tout. Alors que ça fait déjà 16 heures que je suis là, le liquide est teinté (montée de stress) mais on me rassure, toutes les constantes sont bonnes (ok, l'angoisse se calme). Je suis surveillée, je fais un peu de fièvre (remontée de stress) mais on me rassure encore, on fait un prélèvement pour comprendre la cause et je sais que possiblement je peux avoir des antibiotiques si besoin (ok, je suis rassurée).
Ça y est, je suis à dilatation complète. Changement d'équipe. Une nouvelle sage-femme entre. Changement d'ambiance, direct : “Bonjour, alors vous êtes stressée ? Va falloir se détendre !". Ok, très mauvaise approche. Elle enchaîne : “Oula, liquide teinté... Oula, rythme qui fatigue... Oula, fièvre... Oula, mais il faut y aller, là ! Il faut qu'elle sorte ! Allez, je rajoute de l'ocytocine.”
“Elle tapote mon ventre comme un coussin : 'C'est tout mou, là, vous ne faites rien, vous voulez qu'elle sorte, votre fille ?'”
Alors que jusqu'ici on n'a fait que me rassurer, là, je ne comprends plus rien, les larmes montent et j'ai peur, tout simplement. Quand la sage-femme m'installe pour pousser, je n'y arrive pas. Je suis toujours sous péridurale mais j’ai arrêté de la déclencher depuis 30 minutes pour mieux ressentir les contractions. Je les sens mais je ne sens pas trop la sensation de poussée. La sage-femme me dit : "Madame, vous faites n'importe quoi". Premier coup de massue. "Vous comprenez ce que je vous dis ou quoi ?... Non mais là, ça va pas, on y arrivera pas comme ça". Plus elle me parle, moins j'y arrive. Mon souffle s'accélère. Les larmes montent. Je vois trouble. J'ai des acouphènes. Crise d'angoisse en montée. Elle tapote mon ventre comme un coussin : "C'est tout mou, là, vous ne faites rien, vous voulez qu'elle sorte, votre fille ?" Je perds complètement mes moyens. À ce moment, ce que je ressens c'est que je suis nulle, que toutes les femmes savent accoucher mais que, moi, je suis incapable, je ne vais pas y arriver et je mets ma fille en danger. Elle me menace : "On va appeler les médecins si vous continuez comme ça, vous comprenez ce que je dis ?"
Dans ce chaos, j'arrive juste à lui répondre : “J'ai compris ! Je n'y arrive pas, c'est différent.” Elle appelle le médecin. Ventouse. Épisiotomie. Je pleurs. Je peine à respirer. Mon cerveau me dit : “ma fille va mourir, elle va rester coincée, je risque la déchirure complète...” Bref, c'est parti pour les pensées délirantes mais c'est trop tard, je n'arrive plus à contrôler l'angoisse. Heureusement, le personnel soignant qui nous a rejoints comprend tout de suite le malaise. Je n’ai même pas besoin de parler. En fait, chacun a compris car chacun sait. Je l’apprendrai après mais cette personne est connue pour être malveillante. Heureusement, les personnes qui prennent la suite ont l'effet d'un nuage tout doux au milieu de la tornade. Je les entends me dire : “Madame, vous allez y arriver vous-même, on vient juste vous aider un peu". Le geste de la ventouse est très impressionnant mais Sasha est enfin sur moi et je hurle, entre pleurs et soulagement.
Techniquement, l'accouchement ne s'est pas si mal passé, il a été assez “classique” même. Le problème a été les mots de cette sage-femme, le ton qu’elle a employé, sa dureté. La crise d'angoisse m'a créé un mini black-out et je n’ai pas vraiment pris conscience de ma fille sur moi pour la première fois. Et ça, c'est le plus dur.
La suite se passe dans la même veine... Alors que ma fille est sur moi en peau à peau, elle fait son premier caca et cette sage-femme me l'attrape sans demander mon consentement et la passe sous le robinet toujours sans me demander : "J'aime pas le caca, moi, pas de chance, Sasha". J'entends encore ma fille hurler. La pauvre. Mais quelle violence ! Mon projet de naissance disait que je souhaitais retarder le bain... On aurait juste pu l'essuyer.... Bref. À ce moment, je suis encore sous le choc de l’accouchement et je n’ose rien dire. Quand elle me fait les soins, elle se lance dans la prévention contre l'hypertension car je suis montée en tension pendant l'accouchement (sans blague !), j’en viens à lui parler du diabète de ma maman : " Oula, diabète ! J'espère que vous mangez 0 sucre (...) les diabétiques sont des menteurs qui se cachent pour manger leurs carrés de sucre." Je suis abasourdie, je ne sais plus quoi dire. Je reste plantée là à subir des propos plus violents les uns que les autres. Lorsqu'elle regarde les points de mon épisiotomie faite par la gynécologue : "Oh je vais corriger un peu, ça se sera plus esthétique.” De quoi je me mêle ? Clou du spectacle : " Tiens, vous avez un grain de beauté sur la vulve, j'espère que votre mari le prend en photo pour le surveiller.” Je suis tellement estomaquée par cette remarque, que j’en ris, et elle me fait un laïus sur le cancer de la peau. Quand elle quitte enfin la pièce, je dis à l'infirmière également présente que je vais vraiment exploser si elle continue de me parler comme ça. Elle s’excuse en me disant que sa collègue est particulière...
“N’avoir pas osé dire “STOP” fait aussi partie du traumatisme”
La première nuit qui suit, je ne ferme pas l'œil. Je revis tout, la machine est lancée : pourquoi elle m'a parlé comme ça ? Ça se passait vraiment mal ? Pourquoi elle m'a fait paniquer comme ça ? C'est normal qu'on nous parle comme ça ? Pourquoi je n’ai rien dit ? Pourquoi, je me suis laissé faire ? N’avoir pas osé dire “STOP” fait aussi partie du traumatisme.
Quand je raconte la scène à ma sage-femme de ville qui me suit, sa réaction est la même que moi et Quentin : elle est choquée et sincèrement triste pour moi. Elle m'encourage à raconter mon histoire et surtout à écrire à la maternité. Ce que je fais. Je n'ai jamais eu aucun retour si ce n'est une réponse de courtoisie. Aujourd’hui, parler de mon accouchement m’aide beaucoup dans ma "guérison". Je réussis à m’accrocher au positif : un allaitement réussi, un post-partum très doux que je vis comme une bulle hors du temps, où je suis en osmose avec mon bébé. Cet accouchement ne définit pas ma maternité et même si j'ai encore beaucoup de mal à le mettre derrière moi, je sais que j'ai la force en moi d’avancer.
“Je lui en veux à cette femme et je n'arrive pas à dépasser ce sentiment.”
Je suis encore profondément blessée de ne pas me souvenir du moment où on a posé ma fille sur moi, j'ai l'impression qu’on m'a volé ce moment si précieux. Je lui en veux à cette femme et je n'arrive pas à dépasser ce sentiment. Et puis, au-delà de ça, je ne suis toujours pas capable de dire : “j'ai accouché”. J'ai l'impression d'avoir raté mon accouchement, comme si j'étais défaillante, comme si j'avais raté un truc de base que toutes les femmes savent faire. Aujourd’hui, je ne me sens pas capable de revivre un accouchement et je sais qu’un travail sur moi avec un.e psy m’attend.
Mon rapport à l'anxiété est encore compliqué mais je veux me battre contre et je sais que je dois me faire aider, surtout pour panser ma plaie encore bien à vif de l’accouchement. Mais Sasha m’apaise et je me dois d’être sereine pour elle, je veux qu'elle grandisse dans la paix et la tranquillité de l'esprit. Aujourd’hui, c’est la fille qui me fait avancer. C’est symbolique mais alors que je ne conduisais plus depuis des années, désormais je prends ma voiture tous les jours pour l’emmener chez sa nounou. Ça paraît rien du tout mais pour une personne qui souffre d'anxiété c’est un pas de géant !
Les Tips de Louise
C’est possible de combattre ses anxiétés.
C’est possible d'aller de l'avant malgré un traumatisme.
Oser dire “STOP” quand une situation ou un comportement semblent déplacés, irrespectueux, violents, inadéquats.
Oser demander à changer de soignant si besoin.
Oser dire haut et fort ce qu’on ressent.
Un accouchement, c'est un tournant dans la vie, ne laisse personne te le voler.
La pensée freestyle de Louise
La santé mentale n'est pas assez prise en compte au sein des maternités. Il faut absolument y être plus sensible. L'anxiété, ce n'est pas juste un peu de stress, c'est difficile au quotidien et ça peut pourrir la vie. Aider les femmes anxieuses à bien vivre leur grossesse et leur accouchement, c'est les aider à aller mieux !
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*Cariban
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