Du mannequinat à la PMA : l’histoire d’un corps sous pression - Manon

Mannequin depuis l’adolescence, Manon a grandi dans l’exigence d’un monde où son corps devait rester léger, "parfait", maîtrisé. Puis la PMA s’impose à elle et l’oblige à suivre de nouvelles règles. Une autre forme d’exigence où le poids, une fois de plus, prend une place centrale. Son corps devient alors un terrain de bataille, de doutes, de déceptions… avant de se révéler le héros de sa maternité, celui qui lui offrira le plus beau des miracles.

 Je m’appelle Manon, j’ai 29 ans. 
Je suis née à Lille et je suis une ancienne mannequin. 
Ma famille est composée de mon mari et de ma fille. 

--- 2008 
J’ai 12 ans quand je suis repérée dans la rue, à Lille, par une agence de mannequins. Ma "carrière” débute comme ça et je commence très tôt une vie d’”adulte”, avec tout ce que ça implique. J’arrête mes études pour le mannequinat tout en suivant mon cursus par correspondance. 

--- 2013 
Je rencontre celui qui deviendra mon mari. Il a 6 ans de plus que moi et il est alors designer de mode. On se connaît de vue, on a des amis en commun. Au début, il me taquine sur les réseaux via des photos d’amis où j’apparais. Nos échanges restent timides et ce n’est que 3 ans plus tard qu’on se rapproche vraiment. Tout va très vite entre nous. Sa personnalité me plaît et je vois tout de suite sa gentillesse et son côté très protecteur. Il m’encourage dans mes choix. Je grandis avec lui. C’est lui qui m’encourage à passer mon bac à l’âge de 20 ans. C’est quelque chose auquel je tenais vraiment et que je concrétise grâce à son soutien. 

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--- 2017 
On se marie. Je n’ai que 21 ans mais je pense déjà à fonder une famille. Je suis jeune, insouciante, et je pense tomber enceinte le mois suivant. On ne perd pas de temps et on se lance même dans les premiers achats : poussette, lit, vêtements... Pour nous, c’est évident, un petit bébé va rapidement agrandir notre famille.  

Et puis rien ne s'est passé comme prévu... 

Il faut savoir que je n’ai jamais été réglée. Je veux dire : j’ai eu une seule fois mes règles à 14 ans, et plus jamais après… Au début, je mets ça sur le compte de l’âge, et la question de mon poids revient souvent, je pèse alors 52 kilos pour 1m85, et je sais que le poids peut avoir une incidence sur les règles. Et puis à l’âge de 18 ans, je commence à prendre une pilule de contraception qui est censée supprimer totalement les règles, donc je ne m’inquiète pas de cette absence de règles. Et j’avoue ne pas chercher beaucoup plus loin... Surtout qu’autour de moi, nous sommes plusieurs filles du même âge à ne pas avoir nos règles. Je me dis que c’est donc certainement lié à mon poids. 
 

Je rencontre quatre médecins qui me disent tous que c'est parce que je suis “trop maigre”... en quelque sorte, que c’est ma faute…  
 

Alors évidemment quand je stoppe ma pilule pour tomber enceinte, je m’aperçois rapidement que je ne suis toujours pas réglée. Ça me pose question, je me dis qu’il y a un “souci”. Je rencontre quatre médecins qui me disent tous que c'est parce que je suis “trop maigre”... en quelque sorte, que c’est ma faute… Et quand je m’inquiète de ne pas tomber enceinte, on me répète : “ Madame, vous avez 21 ans, vous êtes jeune, ça va venir ! Attendez un an minimum et rappelez-nous. Mais je persiste, j’insiste et, au bout de huit mois, un médecin accepte enfin de me faire des examens plus poussés.  

Et là, le verdict tombe : un SOPK sévère. Un mot que je n’avais jamais entendu, un monde dont j’ignorais tout. Je découvre d’un coup que mon corps ne fonctionne pas comme je le pensais, que ce rêve de bébé ne sera pas si simple à atteindre.   

Notre rêve si précieux est doucement en train de virer au cauchemar.  

 

Au début de mon parcours PMA, on me demande de prendre une dizaine de kilos. “ 

 

--- Décembre 2017 
S'ensuivent des rendez-vous à l’hôpital parisien La Muette et c’est comme ça qu’on entre dans un parcours PMA. On me demande de prendre une dizaine de kilos, car je suis jugée trop fine. Je m’exécute, bon petit soldat. Mais ce n’est pas si simple pour moi de prendre de nouvelles habitudes quand ça fait des années que je me pèse matin et soir, que mon corps est mon instrument de travail, que je fais tout en fonction de lui. Honnêtement, au début de mon parcours PMA, le poids est un vrai sujet, c’est même central. J’ai très peur de l’impact qu’une prise de poids va avoir sur mon corps et du regard qu’on va porter dessus, moi la première. Pendant les premières semaines, j'essaye de contrôler ma prise de poids puis je finis par lâcher prise. Mon envie d’être mère surpasse le contrôle de mon corps. Je suis focalisée sur ce projet bébé. Je passe d’une obsession à une autre, en quelque sorte. Je finis par prendre 10 kilos en 5 mois.  

Pour autant, aucune des huit inséminations n'aboutit. Huit espoirs, huit attentes, huit déceptions. À chaque fois, j’essaye d’y croire. Et à chaque fois, ça échoue. C’est dur. 

--- 2018 

Après 10 ans de carrière, je décide d’arrêter les défilés pour me consacrer à mon projet PMA et commencer à réfléchir à ma vie d’après... Je sens que je suis à un moment de ma vie où je peux tourner la page du mannequinat. L'expérience est très enrichissante mais aussi très difficile physiquement et moralement. J’ai vécu de grandes injustices à cause de ma taille, de ma carrure. On m’a imposé des régimes drastiques et des séances de sport très intenses tous les jours. Il y a cet impératif de garder la ligne et d’être au meilleur de sa forme pour les défilés et les shootings. C’est une hygiène de vie très particulière et je vis alors un combat qui est bien plus important à mes yeux. C’est une façon aussi d’apporter de la stabilité pour accueillir mon bébé. 

 

“ L’espoir renaît après un prélèvement de 18 ovocytes ! Nous sommes heureux, persuadés que la bataille est presque gagnée.  

 

--- 2019 

Nous entamons alors notre première FIV. L’espoir renaît après un prélèvement de 18 ovocytes ! Nous sommes heureux, persuadés que la bataille est presque gagnée et que nous allons bientôt accueillir un bébé. Mais quelques jours plus tard, on nous annonce qu'il ne reste que trois embryons matures, dont un seul de bonne qualité et deux de qualité moyenne. Tous les embryons sont congelés. Malheureusement, je fais une hyperstimulation : mon corps réagit trop fort aux hormones et aux médicaments qu’il reçoit avant le transfert. Je me retrouve alors avec un ventre de femme enceinte de trois mois, des douleurs très fortes et des vomissements. Nous devons attendre le mois suivant pour tenter un transfert. 

Le premier transfert arrive. Nous sommes excités, heureux, émus... et puis, quinze jours plus tard, le verdict tombe : négatif.  

On ne lâche rien et, le mois suivant, nous faisons un second transfert. Et cette fois, ça marche, je suis ENCEINTE !  

On annonce la bonne nouvelle à toute la famille. Et puis un matin, quelques jours avant Noël, alors que j’arrive en fin de premier trimestre : du sang. Je panique, je pleure. Je suis au travail et je prétexte un problème familial pour partir en urgence.  

Me voilà chez mon gynécologue qui ne me témoigne aucune empathie, aucun état d'âme. Il est incapable de se souvenir de mon nom, ni de mon dossier, alors qu'il me suit depuis plus d'un an et demi. Et là, il me dit simplement : "Je ne sais pas ce qui se passe. Il faut continuer votre traitement à la progestérone et patienter."  

Les jours passent, le sang continue de couler. Au fond de moi, je sais. J’y retourne pour un contrôle, et là, le gynéco m'annonce que j'ai perdu mon bébé avant d’ajouter : "Je ne comprends pas comment vous avez pu le perdre." Moi qui ne vis plus depuis des mois, qui ne sors plus, qui ai une hygiène de vie irréprochable pour que ça marche, l’entendre me dire ça... ça me brise. Cette phrase, six ans après, elle me transperce encore. 

 

 On me laisse rentrer chez moi et traverser cette fausse couche à domicile, sans explication ni accompagnement.  
 

 
Après l’annonce de l’interruption spontanée de grossesse, je ne suis pas spécialement prise en charge. On me laisse rentrer chez moi et traverser cette fausse couche à domicile, sans explication ni accompagnement. C’est un moment très difficile à vivre, surtout après les mois d’attente et de procédure.  

Deux mois de pause puis nous tentons un dernier transfert malgré la qualité de l’embryon. Sans surprise, c'est un échec. Mon mari et moi décidons de changer de médecin. Je me rends à l’évidence : mon gynécologue me fait plus de mal qu'autre chose. Il me parle avec mépris, me répète que je suis jeune, qu’il existe d’autres solutions, comme l’adoption. 

Et puis je fais la rencontre du Professeur Ayoubi grâce à ma maman qui le contact pour moi en lui expliquant mon histoire depuis le début (je ne la remercierai jamais assez se s’être battue pour moi pour avoir ce rendez-vous qui a changé ma vie !)

Dès les premières minutes, je me sens considérée. Il m’écoute, vraiment. il est bienveillant, empathique, humain. Il connaît mon dossier, il sait ce que j’ai traversé et il en est sincèrement désolé. Pour la première fois, je me sens en sécurité. Je me sens portée. Lui et son équipe sont à 100 % disponibles pour moi et je me sens enfin suivie par des professionnels de santé compétents. Une relation incroyable s’est créée entre lui, ses secrétaires (Isabelle et Emilie, deux fées !) et moi.

Nous reprenons donc le combat avec une nouvelle équipe, un nouvel hôpital, un nouvel espoir. 

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--- juillet 2020 

Après plusieurs semaines de traitement, arrive la ponction. Cette fois-ci, les douleurs sont plus intenses que la dernière fois. J'ai du mal à marcher. L’hôpital me donne des médicaments très forts pour la douleur qui peuvent provoquer des hallucinations, me dit-on. (J’apprendrai par la suite que j'en suis allergique). Comme je ne me sens pas bien, je demande à mon mari de me surveiller cette nuit-là. 

Minuit. Je pousse un cri qui va me sauver la vie de justesse.

En fait, je me réveille d’un coup et je suis comme prisonnière de mon propre corps. Je veux bouger, mais aucun de mes membres ne répond. Je panique, alors je hurle. Un cri des tripes qui réveille à son tour mon mari. Les secours arrivent vite. Ils sont quatre pour me transporter direction les urgences. Cette paralysie, c’est clairement le moment le plus traumatisant (et le plus étrange) de ma vie. 
 

  Je suis en train de faire une hémorragie interne sévère, causée par une perforation durant la FIV.

 
En moins de temps qu’il faut pour le dire, je me retrouve au bloc. Je suis en train de faire une hémorragie interne sévère, causée par une perforation durant la FIV, ce qui arrive très rarement.  

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Après ça, la convalescence à domicile est très difficile, physiquement et moralement. Il me faut plusieurs mois pour réapprendre à marcher et à être autonome. Les douleurs physiques sont alors très fortes, mais les douleurs psychiques le sont encore plus dures. Je me dis que ça va être encore plus difficile d’avoir un enfant, et que peut-être je n’en aurai jamais. Je suis alors hantée par ces pensées. Et comme je n’en parle à personne, je suis seule face à moi-même.  

 

 Je suis tombée enceinte, naturellement. “ 

 

--- 2021 

On repart pour une nouvelle FIV. Le premier transfert est à nouveau un échec. Et alors que le traitement pour le second débute, sans savoir vraiment pourquoi, je fais une prise de sang pour savoir si je suis enceinte. Quelques heures plus tard, seule dans ma voiture, je reçois les résultats : c’est positif ! Je lis, je relis, je comprends sans comprendre : je suis tombée enceinte, naturellement. Je pleure de joie, j’appelle mon mari, on pleure ensemble et, je m’empresse de contacter le secrétariat du Professeur Ayoubi pour leur annoncer la bonne nouvelle. Tout l’hôpital de la PMA est au courant et hurle de joie.

 

 Je fais beaucoup d’allers-retours à la maternité, minimum une fois par semaine. Je ne me limite pas : à chaque douleur, à chaque doute, j’y vais et on m’accueille toujours les bras ouverts.  
 

La joie se mêle à la peur de perdre mon bébé. Surtout qu’en début de grossesse, j’ai quelques saignements et des contractions dues à un utérus contractile. Je suis rapidement arrêtée et alitée. Les saignements finissent par s’arrêter, mais les contractions restent très présentes durant toute la grossesse. Par sécurité et vu mes antécédents, on m’impose un alitement strict. Je fais beaucoup d’allers-retours à la maternité, minimum une fois par semaine. Je ne me limite pas : à chaque douleur, à chaque doute, j’y vais et on m’accueille toujours les bras ouverts. Tout le service finit par me connaître ! 

Quant à mon corps, je le dédie à cette grossesse. Je prends 30 kg. Pour une mannequin qui faisait attention à son poids, c’est un comble ! J’avoue que je me suis lâchée sur la nourriture, et cela m’a fait énormément de bien d’ailleurs. 

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 --- 2022 

Alors que je dois accoucher dans un mois, un soir, ma tension commence à monter, monter, monter, et ma vision à devenir trouble. J’ai du mal à entendre, j’ai des maux de tête puissants avec des vomissement. Nous appelons la maternité pour communiquer mes relevés de tension, je suis à 16,7 - 16,8… Je dois être prise en charge d’urgence pour un déclenchement par ballonnet. Ça ne fonctionne pas et je réagis assez mal au médicament contre la tension. Je suis à moitié dans un état de malaise constant, je n’entends presque rien, je ne vois pas bien. Rapidement, je dois partir pour une césarienne d’urgence. Je suis trop faible, et mon bébé aussi. Et puis elle est là. Ma fille. J’entends encore son cri, celui qui m’a transformée et transpercée ! Un son que je n’oublierai jamais, qui me fait encore pleurer rien qu’en l’écrivant. À cet instant précis, tout mon corps comprend pourquoi il s’est battu. Le cri de mon bébé, il marque la fin d’un combat et le début de la nouvelle moi ! Après cinq ans de cauchemar, de pleurs en cachette, de douleurs silencieuses, de tristesse en croisant une femme enceinte… le plus beau des cadeaux est enfin arrivé. 

Je la vois 30 secondes juste après sa naissance, avant qu’elle parte en néonat parce qu’elle a du mal à reprendre sa respiration et à réguler sa température. Je suis seule en salle de réveil et ce n’est que neuf heures plus tard que je peux enfin la découvrir et la prendre dans mes bras pour la première fois. J’ai du mal à réaliser qu’elle est là. Je ressens tout de suite un amour inconditionnel, une fierté et surtout un bonheur immense qu’elle soit là. 
 

“ Devenir mère après tout ce parcours, c’est tellement fort, tellement puissant. “  
 

Aujourd’hui, mon corps est différent et il peut m’arriver que celui d’avant me manque. Mais quand je regarde les photos des défilés, je vois aussi une silhouette très fine qui demandait de nombreux sacrifices quotidiens. Alors que mon corps d’aujourd’hui, je le regarde comme un survivant, un allié, un héros qui m’a offert ce qu’il y a de plus parfait... ma fille.  

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Les tips de Manon 

Eviter de se renfermer dans une bulle et de ne pas parler de la PMA.  
Rejoindre un groupe de paroles pour échanger avec des filles qui vivent la même chose pour être rassurée par moments. 
Le pro de santé doit être un pilier. En changer si la personne ne convient pas. 
Se sentir écoutée, entendue, soutenue et à la hauteur de la douleur que nous ressentons et de l’épreuve que nous vivons. 
Ne pas rester bloquée dans une situation qui fait souffrir. 

 La pensée freestyle de Manon 

La PMA, cest un vrai combat d’endurance émotionnelle, un marathon du cœur et de l’espoir. Tu avances là où d’autres choisissent de s’arrêter, tu espères là où c’est flou, et tu bâtis un futur sans garantie mais avec tout ton courage. Quand tu es en PMA, tu n’es pas en train de “tenter”, tu es déjà en train de réussir à tenir debout dans une des plus grandes tempêtes de ta vie.


* L’établissement de Suresnes, classé 1er hôpital français et 7e mondial pour la recherche en gynécologie et en reproduction (selon Google-Scholar GPS 2024), et dont le service de gynécologie s’est distingué avec les premières greffes d’utérus en France, a inauguré, le 10 avril, un Institut de la santé de la Femme et de la Fertilité.
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