Alors qu’elle savoure avec son amoureux un dernier voyage à deux, avant l’arrivée de leur bébé, Caroline est réveillée en pleine nuit par un liquide chaud qui coule entre ses jambes... Elle ne le sait pas encore mais cette hémorragie est causée par un hématome intra uterin qui fera basculer sa grossesse dans une incertitude non sans répercussions, une fois son bébé bien là.
"Je m’appelle Caroline, j’ai 32 ans.
Je viens de Chamonix, là où je suis née et où j'ai grandi, et je vis actuellement à Grenoble. Je suis infirmière libérale.
Ma famille est composée de mon conjoint Tristan et de notre petit Taho qui a un peu plus d’un an et demi.
Petite, je me disais souvent que j'aimerais avoir des enfants tôt. J’ai un coté assez “maternant”, notamment depuis l'arrivée d'une petite sœur à mes 9 ans. Et puis finalement j’ai connu le twist de la vingtaine, à profiter de toutes ses ferveurs avec un certain esprit de liberté. J'ai plusieurs fois pensé à la maternité mais à ce moment-là je voyais ça comme quelque chose qui viendrait arrêter la vie que j’avais. C'est probablement pour cette raison que finalement ça n'a pas été un sujet avec Tristan pendant plusieurs années.
Tristan, je le rencontre par le biais d’une très bonne amie à moi. Bien sûr, il ne me calcule pas, il faudra que j’envoie quelques signaux (voire que j’allume des phares !) pour qu’il me remarque. Et j’ai bien fait puisque ça fait 11 ans qu’on est ensemble ! Lui comme moi, on aime prendre notre temps. On veut profiter de la vie à deux, voyager et voir des copains. On est aussi l’un comme l’autre très investis dans nos professions respectives. Alors pendant plusieurs années, construire une famille n'est pas un sujet. Et puis un jour, on s’est sentis prêts.
Je suis enceinte de 4 mois quand on part en vacances en Grèce. On fait le tour des différentes îles en se disant que ce sont nos dernières grandes vacances rien qu’à deux, avant l'arrivée de notre bébé. Alors l'idée, c’est d'en profiter ! On termine notre séjour sur l'île de Santorin et on est clairement au must de la détente et du farniente ! Mais voilà... dans la nuit, je me réveille et je sens un liquide chaud couler entre mes jambes. Je suis assez étonnée et je crois d’abord mettre fait pipi dessus. Cela ne m’est encore jamais arrivé mais bon je me dis : “voilà, encore un truc de la grossesse... je vais gérer”. Sauf qu'en allant aux toilettes dans l’obscurité, j'ai la sensation que ce n'est pas de l'urine qui coule mais quelque chose de plus visqueux... Et, en effet, en allumant la lumière je vois que c’est du sang ! Il y en a partout, du lit jusqu'aux toilettes ! Moment de panique ! Tout défile dans ma tête : le bébé et la peur face à la quantité de sang perdu. Je me demande tout de suite qui appeler ? S’il y a un hôpital pas loin ? Comment gérer ça alors qu’on est à l’étranger ?! Paniquée, je réveille Tristan qui comprend vite le souci et prend les devants. Il appelle le 112, le numéro d'urgence médicale européen, pour savoir où s'adresser, dans quel hôpital aller. On réveille les propriétaires de l'hôtel dans lequel on loge pour qu'ils nous commandent rapidement un taxi pour être conduits à l'hôpital.
“ Et là, on visualise très bien que le bébé “tapote” sur un gros ballon... Ce gros ballon, c'est une poche de sang, un énorme hématome. ”
Sur place, des sages-femmes m'examinent à tour de rôle. Elles n'ont l'air ni très confiantes ni très à l'aise avec la situation. L’une d'elles essaye de capter le cœur du bébé mais n'y parvient pas. Elle a un rire nerveux qui n'est pas du tout rassurant. Finalement, le gynécologue de garde vient faire une échographie. Il pose la sonde sur mon ventre et tout de suite on entend le cœur battre ! Ouf ! Et là, on visualise très bien que le bébé “tapote” sur un gros ballon... Ce gros ballon, c'est une poche de sang, un énorme hématome. Ce qui est inquiétant, c’est sa position qui serait au niveau du placenta. On parle alors d’hématome rétro-placentaire. L’examen est long, le gynécologue est assez silencieux. Moi, je pleure discrètement, trop de choses se bouscule dans ma tête. Tristan, lui, ne lâche ni ma main ni l’écran des yeux.
“ On me répète : « "don't moove ! » « It's very dangerous for your baby, for your life ». ”
Les premières consignes sont de rester couchée, de ne pas bouger et d'attendre que les saignements cessent. Leur discours n'est pas rassurant et la communication pas simple car le personnel médical ne parle pas bien anglais. On me répète : « "don't moove ! » « It's very dangerous for your baby, for your life ». Des propos assez directs pour s’assurer que je comprenne. Le lendemain, le gynécologue nous annonce que je vais être transférée dans un autre hôpital plus expérimenté et mieux équipé. Je vais devoir partir en avion médicalisé jusqu'à Heraklion, en Crête. Bam ! Le tunnel de l'incertitude continu...
Au début Tristan peut venir avec moi. Mais nous sommes en plein covid et tout le monde reste très vigilant. Tous nos tests reviennent négatifs et puis, au moment de partir, forcément, le test de Tristan est... positif ! Je l’apprends alors qu’il est parti récupérer des affaires à l’hôtel. À son retour, il reste juste quelques minutes avant mon départ en avion et avant qu'il soit écarté. Bien sûr, à ce moment-là, émotionnellement, c’est très difficile à gérer, aussi bien pour Tristan que pour moi.
“ Des larmes coulent toutes seules tandis que je sens le sang s’écouler entre mes jambes... “
Je pars donc en ambulance jusqu'à l'aéroport où je monte dans un petit avion avec une équipe médicale. Le dispositif est assez impressionnant d'autant plus qu'avec moi il y a un homme qui a fait un infarctus et qui doit vite être opéré du cœur à son arrivée. Je me souviens qu'une fois dans les airs, il y a cette lumière orangée qui tamise la cabine de l'avion. On est en fin de journée et on assiste alors à un beau coucher de soleil. Des larmes coulent toutes seules tandis que je sens le sang s’écouler entre mes jambes...
Arrivée à Heraklion, je suis accueillie de suite par trois médecins qui me font plusieurs échographies et des examens, cela dure un moment et ils n’ont pas l'air d'accord... Ils finissent par me dire qu'ils ne savent pas bien pourquoi je saigne. En revanche, l'hématome n'est pas entre le placenta et la paroi utérine, ce n’est donc pas un hématome rétro-placentaire, ouf ! Le bébé va bien, mais il y a malgré tout une grosse poche de sang à surveiller. Il remarque que j'ai des polypes qui saignent également au niveau du vagin, ce qui pourrait avoir causé le saignement. Finalement un tampon de compression est appliqué sur la zone durant 24 heures et les saignements s'arrêtent enfin. Je peux de nouveau marcher un peu. Tristan arrive le lendemain. Ouf, on est enfin ensemble.
“ Il se trouve que j'ai bien un hématome intra-utérin de 12 cm (...) ”
Pendant ces quelques jours d’hospitalisation, on commence les démarches pour se mettre en lien avec des médecins français notamment par le service de rapatriement de nos cartes bancaires. Quelques jours plus tard, le feu vert est donné pour que nous puissions rentrer en France. On apprendra plus tard par les médecins français que, vu la taille de l'hématome, mon départ aurait dû être différé car il existait encore un fort risque hémorragique. Mais, une fois en France, c’est le soulagement. On va enfin pouvoir comprendre l'entièreté de ce qui se passe. Et, il se trouve que j'ai bien un hématome de 12 cm mais qui est "sous membranaire", ce qui est moins grave qu’un hématome retro-placentaire. Mais l'hématome est gros alors il faut que je me repose car il ne faudrait pas qu'il migre ou qu'il se remette à saigner... surtout que les médecins n’arrivent pas à déterminer la cause de mes saignements, même s’ils pensent à deux épisodes simultanés : le saignement des polypes vaginaux concomitant avec l’apparition de l’hématome. Nous sommes en partie rassurés et le repos est un moindre mal par rapport à tout ce qu'on avait pu s’imaginer depuis quelques jours. La fin de grossesse se passe sereinement et puis hop ! on passe les 35 semaines, je peux de nouveau être active, car si le bébé veut arriver, c'est ok !
"(...) j'ai comme l'impression de respirer profondément pour la première fois depuis des mois."
Et un soir de début novembre, notre petit Taho naît. Sur le moment, j'ai comme l'impression de respirer profondément pour la première fois depuis des mois. Il est vraiment là et il va bien. Il est parfait et magnifique, bien sûr !
Les premiers mois de vie de Taho ne sont pas si simples, beaucoup de pleurs et de questionnements sur mon bébé, et un lien d'attachement qui ne me semble pas si évident. Je finis par comprendre, grâce à un soutien psychologique, que l'épisode qu’on a vécu au cinquième mois n'y est pas pour rien. J’ai subi une forme de traumatisme avec des images qui ont continué à tourner dans ma tête, même après notre retour en France, et beaucoup d'incertitudes sur la venue de ce bébé. Inconsciemment, je me suis protégée, j'ai mis des barrières émotionnelles entre mon bébé et moi car je ne savais pas si ça irait pour lui. Il me faudra trois mois pour que la vraie rencontre se fasse, que la légèreté reprenne le dessus et que ce nœud au ventre disparaisse.
“La libération s'est faite quand j'ai commencé à en parler (...)”
Cette entrée dans la maternité a été jusqu'à ce jour la plus grande aventure de ma vie, émotionnellement parlant. Si je pouvais remonter le temps, je prendrais rendez-vous avec une psychologue dès le lendemain de mon accouchement ! C'est un tel chamboulement l'arrivée d'un enfant, surtout quand s’y ajoutent des parcours de vie (et de grossesse) plus ou moins évidents, c’est parfois dur de tenir ! On parle souvent du “lâcher prise”. Pour moi, ça a été la clé pour pouvoir remonter à la surface. Je pense que je suis passée à côté des trois premiers mois de vie de Taho car j'ai beaucoup intériorisé les choses, peut-être par fierté. Et la libération s'est faite quand j'ai commencé à mettre de côté “mes principes” et à en parler avec des personnes de confiance. Les professionnels de santé ont été très aidants mais je crois que ce qui m'a encore le plus apaisée et mise en confiance, ce sont mes amies et ma famille. Pour la première fois, j'ai parlé de façon entière et dans des états assez vifs en émotions mais c’était le reflet de ma détresse et ils ont su l’entendre. Parler et lâcher prise, c’est plus facile à dire qu’à faire mais quand on y arrive, ça libère ! Pour ma part, c'est un apprentissage qui s’est fait progressivement sur des petites choses du quotidien. Et c'est par ces petites étapes que j'ai pu arriver à un apaisement plus global et respirer de nouveau.”
Les tips de Caroline
Garder confiance et arriver à se faire confiance.
Notre instinct ne nous trompe pas.
Avoir un groupe de discussions entre jeunes mamans pour s'échanger des conseils sur toutes les questions qu’on a (et c’est un super espace de défouloir aussi !)
La pensée freestyle de Caroline
Je ne remercierai jamais assez mes amies qui ont su trouver les mots et me donner des conseils rassurants et déculpabilisants. Et encore aujourd'hui elles restent mes meilleurs soutiens. Se parler de ce qu’on vit, c'est essentiel ! On a toutes des façons singulières d'aborder la maternité et c'est comme ça qu'on se nourrit les unes les autres. Avant d’être mère, j’étais plutôt pudique, je partageais peu mes sentiments et mes émotions. Pour moi, la maternité est une vraie histoire d'authenticité et, avec certaines de mes copines, je crois que l'on s’est rencontrées une seconde fois grâce à notre maternité. Alors merci à elles car je crois qu'on a créé un truc de fou sans le savoir.
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Tu as peut-être vécu une histoire aussi forte que celle de Caroline avec son témoignage hématome intra uterin. Si c’est le cas, écris-nous à ton tour pour nous la raconter !
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