De ses parents globetrotteurs, Estelle a hérité de cette nécessité vitale d'être constamment en mouvement. Alors le jour où elle est clouée au lit par la douleur, c'est l'incompréhension, avant que le diagnostic d'une spondylarthrite ankylosante la libère grâce à un traitement adapté pour la soulager à défaut de la guérir. Malgré sa maladie évolutive, Estelle vous prouve que grossesse et spondylarthrite ankylosante peuvent coexister, elle qui a pardonné à son corps et en a fait un allié.
“Je m'appelle Estelle, j'ai 32 ans.
Je viens de partout et de nulle part !
Je suis assistante sociale et j’exerce à l'Aide Sociale à l'Enfance. J'accompagne les enfants et familles suivis dans le cadre de mesures judiciaires.
Ma famille est composée de Stéphan qui me suit dans mes aventures depuis 2011. Ensuite quatre chats et un chien (rien que ça !) nous ont rejoints. Puis, en juin 2022, quasi pour nos 10 ans, un magnifique cadeau du prénom d'Agathe (alias Biscotte).
Depuis que je suis née, mes parents ont déménagé au gré de leurs envies, nous entraînant mes frères et moi. J'ai connu plusieurs régions de France et même l'Île de la Réunion ainsi que Mayotte. On peut dire qu'ils m'ont transmis cette “bougeotte” (comme j'aime l'appeler). Je suis passée par Pau, Montpellier, Basingstoke (en Angleterre) et, finalement, Toulouse. Je sais que je ne pourrai pas rester, à vie, au même endroit, j'ai besoin de découvrir de nouveaux environnements, de nouveaux espaces.
Avec Stéphan, ou mon indispensable, nous nous sommes rencontrés par l'intermédiaire de mon frère, en décembre 2011. Notre histoire et les différents obstacles que nous avons surmontés, ensemble, nous ont soudés. Je sais qu'avec lui je peux faire front et, surtout, dans ses yeux, j'apprends à m'aimer. On dit souvent qu'il faut s'aimer soi-même avant de pouvoir aimer une autre personne. Je ne suis pas à 100% d'accord avec cette expression. Je pense qu'à travers le regard de ceux qu'on aime, nous apprenons aussi à nous aimer.
Avant de parler de ma maternité, il va falloir remonter plusieurs années auparavant. En 2019, des douleurs au dos et au sacro-iliaques sont apparues et sont devenues de plus en plus fortes. Je me réveillais la nuit, douloureuse et paralysée. Le matin ? Impossible de me lever, seule. Je devais être aidée, le temps que je puisse reprendre pleinement possession de mon corps. Mon mari devait me laver, m'habiller, me soutenir, m'assister. Je n'avais que 28 ans (…) Rester dans une position, sans bouger, était un enfer de même qu'être trop en mouvement. J'avais l'impression de perdre la tête (…) Enième rendez-vous avec un nouveau médecin. Une femme, ma libératrice. Elle a pris le temps de m'écouter, de m'examiner. Elle m'a prescrit une IRM (seul moyen d'observer les inflammations) et m'a orientée vers une rhumatologue. Tout s'est enchaîné et la rhumatologue a posé le diagnostic de spondylarthrite ankylosante.
“La maternité, il valait mieux l’envisager maintenant, avant que mon corps ne soit trop vieux... trop vieux... à 29 ans...”
(…) Spondylarthrite ankylosante, quel mot barbare. Une maladie auto immune, pas de chance pour moi. Pas de traitement pour la soigner mais un traitement pour soulager et ralentir la propagation du mal. Il s'agit d'une inflammation des articulations, dans leur globalité, qui crée alors l'ankylose du corps. Cela explique les "paralysies" et raideurs que j’avais. La rhumatologue a été d'une grande douceur. Elle m’a expliqué ce que cette maladie et son traitement allaient engendrer sur mon quotidien. Elle en est venue à me parler de la maternité, m'expliquant que si je souhaitais des enfants, il valait mieux l'envisager maintenant, avant que mon corps ne soit "trop vieux". Trop vieux... à 29 ans... Les quelques jours qui ont suivi le rendez-vous, j'étais encore hantée par les échanges autour de la maternité. J'avais l'impression qu'une immense horloge résonnait au-dessus de ma tête. Je n'avais jamais rêvé d'être mère. Si je ne pouvais pas affirmer que je voulais des enfants, je pouvais dire que je n'en souhaitais pas pour le moment. En tout cas, je n'avais pas besoin de la maternité pour me sentir complète et épanouie.
(…) D’autres questions restaient en suspens dans cette équation grossesse et spondylarthrite ankylosante. La question de la douleur. Je devais stopper mon traitement. Mon mari était réticent à l’idée que je souffre à nouveau. Moi, je partais du principe que j'avais souffert pendant un peu plus d'un an et que je pouvais encore supporter les douleurs pendant quelques mois surtout en étant cette fois accompagnée. D'autant plus qu'il y avait la perspective d'une reprise du traitement qui m'aiderait à tenir et à relativiser.
La question de “la gestion” de bébé est aussi venue me turlupiner (oui, je dois être la seule femme de 32 ans à utiliser ce verbe). Je suis moins mobile, plus douloureuse, plus fatiguée. Dans ces conditions, comment puis-je m'occuper d'un bébé ? Comment puis-je être pleinement mère si je ne peux pas porter mon enfant plus de 5 minutes ? Comment vais-je pouvoir répondre à ses besoins ? Je suis encore dans ce tourbillon de questions, aujourd'hui.
Enfin, la question de l'hérédité. Pendant plusieurs semaines, j'ai refusé l'idée d'avoir un enfant pour qu’il ne souffre pas de mon mal. Pourquoi prendre le risque de faire un enfant en sachant que j’ai des risques de lui transmettre ma maladie ? Comment puis-je lui imposer ça ? J'ai pu en discuter avec ma rhumatologue qui m'a rassurée. Mon mari n'étant pas atteint de cette pathologie, il y avait peu de chance que notre enfant la contracte. Rassurés, nous avons décidé de nous lancer dans l'aventure de la parentalité, sans pression, en se disant que grossesse et spondylarthrite ankylosante, c’était possible. Un an après, en octobre 2021, Agathe s'est installée en moi. Il m'a fallu quelques jours pour réaliser. 3 jours où je n'ai rien dit à mon mari. J'avais besoin de ce temps pour me recentrer sur mes émotions. Je n'ai pas eu de grandes joies ou de pleurs, en apprenant ma grossesse. J'étais sous le choc alors même que le projet était lancé depuis longtemps. Je ne me souviens plus de ce que j'ai fait cet après-midi là. Black-out... Je sais juste que je n'ai pas pensé un seul moment que c'était une erreur.
Je dois avouer que toute la grossesse a été un événement que je ne pensais pas vivre de cette manière. Je ne m'imaginais pas cela comme une partie de plaisir, loin de là. J'avais lu de nombreux témoignages de grossesses difficiles mais quand cela devient réalité, c'est une tout autre histoire. Les nausées et vomissements sont arrivés le jour même de ma prise de sang pour confirmer ma grossesse et ils ne m'ont plus quittée jusqu'à la naissance de ma fille (quelle chanceuse j'étais !). Et qui s'est retrouvée à se faire pipi dessus à 7 mois de grossesse alors qu'elle vomissait au-dessus des toilettes ? C'est bibi ! Que de bons souvenirs...
Je savais que cumuler grossesse et spondylarthrite ankylosante allait être dur, mais je ne pensais pas que cela le serait autant. J'ai dû arrêter mon traitement au début du second trimestre afin que notre bébé ne naisse pas immunodéprimé. Si cela avait été le cas, Agathe aurait dû rester, quasi en huis clos, les six premiers mois de sa vie. Je ne pouvais pas lui faire vivre ça ! Malheureusement, l'arrêt du traitement a signé une véritable descente aux enfers pour moi. Le premier trimestre avait été difficile mais le deuxième et troisième ont été encore pires ! Comme les vomissements et les nausées ne suffisaient pas, j'ai fait un diabète gestationnel (je fais les choses à fond, je suis comme ça ! Ha ha). J'ai réussi à l'équilibrer par le régime alimentaire.
À côté de ça, les douleurs de la SPA sont devenues véritablement insupportables (à nouveau je ne dormais plus, je souffrais à chaque déplacement). La gynécologue et ma rhumatologue m'ont incitée à prendre les anti-inflammatoires pour avoir quelques jours de répit. Je ne le souhaitais pas mais ma gynéco a prononcé ces mots qui m'ont convaincue : "pour votre fille, il faut une maman en pleine santé ou, du moins, au mieux qu'elle puisse l'être. Ce n'est que le début de l'aventure et il ne faudrait pas que vous soyez épuisée pour la rencontre et l'après". J'ai donc accepté le traitement proposé (têtue mais pas folle, la guêpe !). Les douleurs se sont atténuées mais les AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens, ndlr) ont fait flamber mon diabète. Hello l'insuline ! Lente et rapide ! La totale ! Cinq piqûres par jour avec d'importantes doses qui n'arrivaient pas à stabiliser le diabète. J'ai donc été confrontée à un choix : soit arrêter le traitement et retrouver la douleur mais avoir un diabète stable, soit prendre le risque de les continuer et que notre biscotte naisse avec des problèmes de santé liés à un diabète peu stable. Je me suis surprise à ne pas hésiter alors même que je redoutais la douleur et qu'elle restait encore ancrée en moi. J'en pleurais tellement j'étais terrorisée de ressentir, à nouveau, ce mal. Mais j'imagine que l'amour maternel, c'est ça. Moi qui avais une peur bleue de détester mon bébé et de lui faire porter la responsabilité de mes douleurs, ce fut tout le contraire. J'ai arrêté tout traitement, un mois et demi avant le terme.
Puis, nouveau coup dur : rendez-vous chez l'anesthésiste qui m'informe qu'il est possible, du fait de la SPA, qu'il n'arrive pas à me poser la péridurale. Les articulations pouvant se souder entre elle (j’en avais quelques-unes dans cet état), l'aiguille ne pourrait peut-être pas passer. L'hécatombe ! Je ne pouvais m'imaginer un accouchement sans péridurale. La douleur, si je peux m'en passer, je m'en passe. Je ne peux pas m'imaginer, depuis que j'ai souffert de la SPA, accepter une douleur même pour quelque chose d'aussi beau que la naissance de ma fille. Finalement, l'accouchement a été un véritable rêve. J'en ai un beau souvenir. La péridurale a finalement fonctionné. Le personnel a été au top. Notre biscotte est arrivée avec quasi trois semaines d'avance et a tout donné si bien que le travail a duré même pas six heures et qu'elle est arrivée en deux poussées, surprenant la sage-femme qui pensait avoir le temps de voir ses collègues arriver. Le séjour à la maternité a été long, trop long... Nous étions heureux de retrouver notre foyer et nos animaux. Puis la dépression post-partum s'est installée... à cause de mes limites à pouvoir m'occuper de ma fille. C'est encore difficile, aujourd'hui, par moments. Je ne peux pas porter ma fille longtemps et je culpabilise énormément quand je la vois pleurer parce qu'elle veut être avec moi mais que mon corps m’impose des limites. Néanmoins, j'ai appris à faire les choses autrement, à m'adapter et à proposer d'autres manières de faire à ma biscotte. J'ai grandi grâce à elle. Je sais qu'il n'existe pas une seule parentalité, désormais. Que même avec un handicap, c'est possible. Plus difficile mais possible. J'ai relevé le défi et j'en suis fière.
C’est aussi grâce au soutien de mon indispensable qui a, encore une fois, prouvé qu'il pouvait faire des miracles. Il a appris à faire des massages pour me soulager, pris en main notre quotidien pour que je puisse me reposer. Il était là pour m'épauler, me faire sourire et rigoler. Pour m'aimer tout simplement et, bordel, que ça fait du bien ! Je me souviens de son regard sur moi, sur ce corps douloureux mais si beau dans la grossesse. Ce corps meurtri mais qui crée la vie... Il faut savoir que mon ventre a mis beaucoup de temps à se voir. Je me plongeais dans mon travail pour oublier la douleur. Je refusais les arrêts proposés par mes médecins, de peur de me retrouver face à moi-même et à la maladie. D'une certaine façon, je n'avais pas le temps de laisser sa place à ce bébé. Et puis un matin, mon mari me fixe, les larmes aux yeux, et me dit, tout simplement : "elle est là... tu as un petit bidou...". Si vous aviez pu voir tout l'amour dans son regard, toute cette émotion... Ce regard a été l'une des petites choses qui m'ont permis d'avancer et d'aimer mon corps enceinte, malgré tout. D’ailleurs ma vision de mon corps a changé. Alors que je le voyais comme un ennemi, le fait qu'il ait porté Agathe pendant plusieurs mois m'a aidée à l'accepter, un peu plus. Notre relation reste difficile mais j'avance et je travaille dessus encore plus maintenant.
(…) Ma plus grande déception a été de ne pas assez entendre parler du handicap pendant une grossesse. Je n'étais donc pas certaine d'être capable de mener ce défi jusqu'au bout. Pas certaine d'être une mère et d'apporter ce qu'il faut à ma fille. Alors je voudrais dire à toutes ces mamans ou futures mamans qui vivent la même chose qu'elles sont beaucoup plus fortes qu'elles ne peuvent le penser. Qu'elles ne se résument pas à leur maladie. Que ce sont des guerrières et que ce n'est pas grave de tomber, de baisser les bras. L'important est de se relever et si cela devient trop difficile, seule, il ne faut pas hésiter à se tourner vers les personnes, professionnels ou proches. La maladie n'est pas un combat à mener seule.”
Le Tips d’Estelle
- S’écouter et passer le relais lorsqu’on est moins bien. Il vaut mieux une maman bien dans sa tête et dans son corps (autant qu'elle le peut) qu'une maman qui souhaite tout mener de front et donc qui souffre énormément (physiquement et psychologiquement).
- Accepter l’arrêt maladie quand c’est nécessaire.
- Trouver des ressources dans la sophrologie et la méditation.
- On a le droit de flancher, d’aller mal et de le montrer.
- Ne pas culpabiliser.
- Les beaux moments viennent contrebalancer les moins bons.
La pensée freestyle d’Estelle
“Le handicap peut venir compliquer le quotidien mais il existe plein de petites victoires sur la maladie. (…) je remercie Bliss pour cette opportunité de pouvoir raconter une partie de mon histoire. J'espère qu'elle pourra aider d'autres personnes. Rappelez-vous que vous êtes puissantes et beaucoup plus fortes que vous ne le pensez. La maternité est dure, de base, alors avec une maladie/un handicap en plus, cela est encore plus compliqué mais ce n’est pas pour ça que vous n'apportez pas ce qu'il faut à votre/vos enfant.s.”
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