Témoignage fausse couche tardive et deuil périnatal

Deuil périnatal, se (re)construire après une "fausse couche" tardive - Charlotte

Près de 7 000 femmes et couples seraient touchés, chaque année, par le deuil périnatal*, à savoir la perte d’un bébé au cours d’une grossesse ou quelques jours après sa naissance. Charlotte est l’une de ces femmes marquées à jamais par l’absence. Une épreuve assurément gravée en elle et un vide qui aurait pu l’emporter. Mais Charlotte en a décidé autrement... 

"Je m'appelle Charlotte, j'ai 36 ans. 
Je vis à Laval, en Mayenne, et je suis professeure d'arts plastiques dans un lycée. Ma famille est composée de Baptiste, mon amoureux depuis 15 ans et mon mari depuis 7, et de nos 3 enfants, Bartimée 7 ans, Ninon 4 ans et Solal bientôt 2 ans. 

Je rencontre Baptiste en 2008. Avant ça, on se connaît de loin, on est dans le même lycée, lui en seconde, moi en terminale, et on a des amis communs. On apprend à se connaître et à se découvrir par nos engagements dans diverses associations. J'adore son côté artiste, toujours un peu à la bourre, ultra drôle. Quand tu discutes avec lui tu as l'impression d'être quelqu'un d'intéressant et d'important. Il est altruiste et musicien, bref, coup de foudre ! Après avoir vécu des relations un peu toxiques, je me sens avec lui en confiance, en sécurité, et surtout aimée comme je suis. C’est une fois nos études terminées, tous les deux en poste (Baptiste est prof aussi) et installés dans un appart’ ensemble, qu'on se dit que ça pourrait être le moment de se lancer ! 

 

témoignage fausse couche tardive deuil périnatal


Je me souviens de mon premier test de grossesse. On est le 1er mai 2015 et, ce jour-là, c'est comme si j'engageais un dialogue avec ce petit être au creux de moi. Je ne le sens pas encore bouger, je ne le vois pas, mais je le ressens, là, présent, tellement présent. Voir mon corps changer, mon ventre s'arrondir, c'est magique. Où que j’aille, quoi que je fasse, j'ai l'impression d'avoir un "allié" avec moi. Porter ce petit bébé, ça me rend forte. J'adore cette période. Je me souviens des nausées et de mon envie de faire des gaufres sous 39° en plein mois de juilletJe me souviens aussi de l'annonce à nos proches. Baptiste étant l'aîné de sa famille, notre bébé sera le premier futur petit-enfant pour ses parents, premier neveu/nièce, premier futur arrière-petit-fils, etc. Voir cette joie sincère et profonde chez notre famille et nos amis, c’est du bonheur !  


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26 août 2015. Je suis enceinte de 21 semaines, soit un peu plus de 4 mois. Cette semaine-là, c'est la pré-rentrée. Septembre est bientôt là, on se remet progressivement au travail après presque deux mois de vacances et un voyage à Rome, magique, j'ai même eu droit à une demande en mariage ! Le calendrier se dessine avec une date : le 10 janvier 2016, la rencontre avec notre bébé... Mais ce matin-là, je ressens des douleurs. De petites crampes dans le bas-ventre qui reviennent régulièrement comme...des contractions ?! Les contractions, je ne sais pas concrètement ce que c'est, mais ça y ressemble. On décide d'aller à la maternité, on ne sait jamais, c'est ma première grossesse, c'est normal de s'inquiéter, on préfère être rassurés. On y arrive en milieu d'après-midi. Nous sommes reçus par la sage-femme de garde, puis par un gynécologue qui me manipule sans ménagement. Pour aucun de ses gestes, il ne demande mon consentement, il insère la sonde vaginale sans me prévenir, la manie de façon assez brutale et cela me fait mal. Sans prendre de pincettes, il m'explique que je vais accoucher dans les heures qui arrivent et que c’est inévitable, et d’ajouter “à 21 SA, c’est même pas la peine”, traduire “d’espérer un bébé en vie. C’est d’une violence ! Je ne sais pas si on peut réellement poser le terme de “violences gynécologiques, mais c'est comme ça que je l’ai ressenti. Avec plus de douceur, les sages-femmes nous expliquent ce qui va arriver : la poche va se rompre, ce qui va déclencher la naissance. Mais notre bébé n'est pas encore paré pour survivre hors de mon ventre, ses poumons sont trop immatures. Dès qu'il sera sorti, il ne pourra pas respirer, il ne pourra pas vivre.
 

Je vais donc accoucher naturellement, pour donner la mort à mon bébé. (...) J'accouche, il est minuit. Je me souviens de ce calme incroyable (...) J'ai l'impression d'avoir couru un marathon au cœur d’un tsunami. 

 
Cette nuit du 26 au 27 août, je ne l’oublierai jamais. C’est une nuit de cauchemars, de douleurs, de contractions qui s’intensifient et se rapprochent jusqu’à ne plus me laisser un seul instant de répit. Je sens à la fois ces contractions meurtrières et les mouvements de mon bébé toujours présent. Je n’ose imaginer combien il souffre lui aussi. Je vais donc accoucher naturellement, pour donner la mort à mon bébé. L’équipe médicale ne me pose pas de péridurale pour ne pas ralentir le travail. J'accouche, il est minuit. Je me souviens de ce calme incroyable qui survient après l'accouchement, les douleurs qui s'arrêtent instantanément, le rythme cardiaque qui diminue. Baptiste est là, du début à la fin, on ne se quitte pas une seconde, on vit tout, ensemble. Puis on m'endort tout de suite après, j’imagine pour m'éviter les douleurs liées aux manipulations qui suivent l'accouchement (extraire le placenta, notamment). Pour être tout à fait honnête, je n'ai même pas posé la question. A mon réveil, ce qui me frappe le plus, c'est le calme ambiant et ce calme en moi. Après des heures de douleurs intenses, de peur et de cris, il règne un calme et un silence absolus. Je n'ai plus aucune douleur. J'ai l'impression d'avoir couru un marathon au cœur d’un tsunami. Je savoure cette paix soudaine, mais elle s'entremêle avec la prise de conscience que mon bébé n'est plus en moi. Et je me sens vide.


On doit voir notre bébé pour accepter qu'il s'en aille.


Une sage-femme nous propose de voir notre bébé, c’est un petit garçon. Elle nous donne des informations importantes pour nous préparer à sa rencontre. Je me souviens très bien des mots choisis : "Votre bébé est tout à fait normal, il n'a ni malformation, ni défaut ou autre, c'est juste qu'il est plus petit (à peine 30 cm). Sa peau est rouge, bleutée par endroits, mais c'est normal. Ses yeux sont fermés. Et aussi, il est froid. Si vous souhaitez lui faire un petit bisou, il faut que vous le sachiez, pour que cela ne vous surprenne pas." Puis elle nous lapporte, il est enveloppé dans une toute petite couverture, dans une boîte ouverte. Elle nous propose de rester un peu avec vous et on apprécie sa présence, c’est un soutien. Cette rencontre est plutôt douce, pas choquante ni "glauque", et c’est grâce à cette sage-femme qui nous la fait vivre comme une rencontre "normale". Elle nous dit que c'est important de vivre cette rencontre, que si on avait refusé, elle nous aurait encouragé à le faire, car c'est une étape capitale dans le processus d'acceptation. On doit voir notre bébé pour accepter qu'il s'en aille. Nous décidons de l'appeler Josué et de l'inscrire dans notre livret de famille. Autour de nous, nos familles et amis nous entourent d'une bulle d'amour et de bienveillance qui nous porte et nous aide à traverser cette épreuve. On voit Josué une seconde fois, le lendemain, et on sait que c'est la dernière fois. Ensuite on nous propose deux alternatives : soit de récupérer Josué, ce qui signifie acheter un cercueil et organiser une sépulture, et on s'en sent alors totalement incapables, c’est au-dessus de nos forces. Soit de laisser l'hôpital gérer la suite, à savoir procéder à une crémation avant que ses cendres ne soient dispersées dans un jardin des souvenirs. C’est ce second choix qu’on fait car, à cet instant, c’est inenvisageable pour nous de faire autrement, même si c'est difficile de se dire que nous n'aurons plus l'opportunité de revoir notre bébé et de savoir où est son corps après. Plus tard, nous avons créé un petit endroit dans la forêt où nous avons fait une petite plaque à son nom, et c'est un lieu où l'on se retrouve souvent avec nos familles.

Le lendemain de la naissance de Josué, une sage-femme nous dit que rien ne nous empêche de nous projeter dans une prochaine grossesse, d'un point de vue physiologique. Avec Baptiste, on se regarde et on se dit : "Ok, mais avant on va faire quelque chose d'important, on va se marier." C'est comme ça qu'en novembre nous annonçons à nos familles et amis notre mariage... en mars. On organise tout en quatre mois, nos témoins sont au taquet et tout le monde est là, le 19 mars 2016. Ce jour-là, il fait un soleil radieux, c'est une fête incroyable, on célèbre la vie, l'amour... Une sorte de petite revanche, un pied de nez au coup du sort !  


témoignage fausse couche tardive deuil périnatal
crédit : Manuella Aubin 

Avec le temps, je découvre que j'ai des ressources en moi, mais aussi et surtout dans mon couple et mon entourage pour me relever. Je ne suis pas seule. Avec le temps, je découvre que c’est possible de se relever. Je n’oublie rien évidemment, j'y pense encore chaque jour depuis plus de 7 ans, mais j’apprends à vivre avec, à intégrer ce chapitre à notre histoire personnelle. Cette perte ne doit pas me détruire mais faire partie de ma construction. En 2020, pendant le confinement, je me décide à créer quelque chose à partir de cette histoire et je me lance dans l'écriture et l'illustration d'un livre pour raconter cet épisode à nos enfants. Car oui, nous avons eu le bonheur et la chance d'accueillir trois autres enfants qui se portent à merveille. De fil en aiguille, je lance une campagne de financement participatif et là, en voyant le nombre de réponses, je m'aperçois du manque de ressources sur le deuil périnatal et du besoin qu’ont les familles. J'ai la chance d'aller au bout de mon projet et, en août 2020, presque cinq ans, jour pour jour, après la naissance de Josué, j'auto-édite mon livre Le Roi du Silence. Je l'imprime en plus de 1000 exemplaires qui sont envoyés dans toute la France. Mon chéri compose des mélodies sublimes pour accompagner sa lecture...

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" Ce livre “Le roi du silence” renferme tout l'amour et la lumière qu'il nous a apportés, et aujourd'hui on peut le partager avec d'autres. "

De la naissance de Josué, nous avons la sensation d'avoir réussi à créer quelque chose de beau, de coloré, de doux. Josué n'est plus là, on ne le voit plus, on ne l'entend pas, on ne peut pas le serrer dans nos bras, mais ce livre permet de le faire vivre plus que jamais, de lui donner la parole, de lui donner des couleurs. On aurait pu se souvenir de sa naissance de façon traumatique et douloureuse, mais ce n'est pas le cas. Ce livre renferme tout l'amour et la lumière qu'il nous a apportés, et aujourd'hui on peut le partager avec d'autres.

 
         “ Aujourd'hui, j'élève trois enfants mais j'en ai porté et aimé quatre.  

 
Quand on me demande combien j'ai d'enfants, je dis trois car oui, aujourd'hui, j'élève trois enfants même si j'en ai porté et aimé quatre. Mais ce n'est pas une information que je divulgue naturellement car je ne sais jamais comment la personne que j’ai en face de moi va recevoir cette information, je ne veux pas créer de "malaise" parce que oui, certaines personnes ne sont pas du tout à l'aise avec ce sujet. Alors la plupart du temps je le garde pour moi, mais quand je sens que je peux l'évoquer, je le fais.  

Les tips de Charlotte 

Prendre le temps qu'il faut, le temps de se remettre, physiquement et moralement.  
Personne n'a à dire qu'il serait "temps de passer à autre chose". 
Ne laisser personne remettre en doute un ressenti, une douleur.  
S’entourer de personnes qui savent écouter sans donner de conseils, être là, vraiment.
Faire confiance au temps et à la vie.  
Ne pas chercher à oublier ou à enfouir, mais trouver comment vivre avec, à le vivre comme une force et non une faille.  
 

La pensée freestyle de Charlotte 

Vous ne trouvez pas que nous, les femmes, on est quand même de sacrés badass ?!!! On saigne, on porte, on accouche (ou pas), on s'ouvre, on accueille, on nourrit, on écoute, on berce, on calme, on bosse, on veille, on surveille, on court, on pense, on panse, on anticipe... On passe notre temps à donner. Alors merci Bliss de nous donner la parole, de nous donner un espace, du temps, de l'amour, du rire, de l'émotion, de la bienveillance ! 

🔖 Charlotte a créé un compte Instagram qui traite du deuil périnatal et qui raconte le projet de son livre : @le.roi.du.silence. On ne peut que chaudement vous recommander d’y aller faire un tour, de scroller son feed et pourquoi pas de feuilleter son livre dont la vente permet de réimprimer de nouveaux exemplaires.  

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Tu as peut-être toi aussi une histoire aussi forte et bouleversante à raconter que ce témoignage fausse couche tardive et deuil périnatal. Pour nous écrire c'est ici   

* Source : lemonde.fr, Deuil périnatal : « Il n’y a rien de plus terrifiant que la perte d’un enfant...” publié le 14 octobre 2023. 
Crédit photo cover : La Rue aux Photos
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