Edwige se bat pour qu’un meilleur accompagnement soit proposé aux femmes qui vivent une grossesse seule ou qui ne rentrent pas dans les schémas “classiques” de la maternité. Celles pour qui le système de santé n’est pas toujours adapté ou attentif. Et ce combat qu’elle mène aujourd’hui en accompagnant au quotidien des familles, c’est sa sœur, elle-même femme enceinte et célibataire, qui lui a inspiré. Retour sur une histoire où maternité rime avec sororité.
" Je m’appelle Edwige Nantas, j'ai 31 ans.
Je vis à Lyon et je suis infirmière. J'ai fondé Graine de parents en avril 2023, mon cabinet spécialisé en soins périnataux.
Ma famille est composée de mon fiancé Ayoub, ainsi que de ma sœur et de ma nièce Eléa, 5 ans, qui sont toutes les deux à l'origine de la création de mon cabinet.
2012.
Je suis diplômée d’une école de soins infirmiers et je commence la grande aventure au sein des hôpitaux. À force de persévérance, je finis par rejoindre le service très fermé et très convoité de la réanimation néonatale. Mon rêve depuis mon bac ! S'ensuivent formations et apprentissages intenses pour comprendre et apprendre à soutenir ces familles propulsées dans l'œil du cyclone. Une expérience dans une autre dimension. Mais c’est une histoire intime qui bouleverse ma trajectoire...
“ Je suis assez dure voire très peu empathique au moment de la nouvelle. “
Janvier 2020.
Ma sœur Elodie tombe enceinte de façon inattendue, après une rupture difficile. Elle me l’annonce à un soir, alors qu’elle est enceinte de quelques semaines à peine. Une grossesse qu’elle s’apprête donc à vivre seule, sans coparent, sans conjoint, en plein cœur de la pandémie. Ma première réaction ? De la colère. Vu sa situation, je ne vois pas d’un bon œil cette grossesse et qu'elle soit enceinte seule, et j’ai du mal à comprendre comment elle a pu laisser ça arriver... je ne trouve pas ça “responsable” de sa part. Je suis assez dure voire très peu empathique au moment de la nouvelle, en espérant que ma réaction la fasse réfléchir. En fait, ma réaction est aussi intimement liée à notre histoire. Nous avons un contexte familial difficile et complexe (mère bipolaire). Nous avons quatre ans d'écart (c’est mon aînée) et nous n’avons pas le même père. On a commencé à être proches plutôt à l'âge adulte, vers la vingtaine. Une période où on était plus capables de communiquer et de nous comprendre. Mais quand elle m’apprend sa grossesse, ce qui m’inquiète c’est qu’elle reproduise le schéma familial de notre mère, qu'elle soit trop fragile à ce moment-là pour accueillir un enfant, que financièrement cela soit compliqué, la peur du jugement et du regard des autres.
Mais elle me confie qu’à 30 ans, elle en a tout simplement envie de cette grossesse. Moi, je suppose surtout qu'elle ressent le besoin d'une bonne nouvelle, d'un nouveau souffle. Je sens aussi qu’étonnamment elle n’est pas si effrayée, même plutôt sûre d'elle.
" Je dois être là pour Elodie, je dois tenir ce rôle de personne ressource. "
Moi, je me confie immédiatement à une amie pour qui j’avais eu une position d'aidante quelques années plus tôt, quand elle avait rencontré la même situation familiale. Tout de suite elle me dit : " Ne fais pas comme ma sœur". Cette phrase, elle me reste en tête. Je sens le traumatisme que ça a été pour mon amie de ne pas avoir eu le soutien de sa sœur. Je ne veux pas ça pour nous. Je dois être là pour Elodie, je dois tenir ce rôle de personne ressource.
Si je pouvais revenir en arrière, je prendrais la main de ma sœur lorsqu'elle m'a annoncé sa grossesse surprise, je changerais de discours et je ne me fâcherais pas. Je lui dirais qu'elle va y arriver, qu'elle ne doit pas avoir peur, que j’aurais été là, à chaque instant....
Je commence à me réjouir, la colère s'atténue et j'ai beaucoup d'amies qui m'aident à voir ce projet sous un autre angle, "à normaliser" la maman solo. Je m’investis petit à petit. On s'appelle beaucoup, on se rapproche, je l’accompagne aux visites médicales, on prépare ensemble la chambre du bébé. Je suis présente à chaque étape.
22 septembre 2020.
Elodie a rendez-vous pour une échographie (son terme était prévu pour la veille). Après un examen, les médecins estiment qu'il n'y a plus beaucoup de liquide et jugent bon de programmer un déclenchement, dès le lendemain. Elle est donc hospitalisée, le soir même, en prévision d'un ballonnet à 6h le lendemain matin, ainsi qu'une perfusion d'ocytocine (dans la journée pour faire avancer).
23 septembre.
Je la rejoins dès midi. Elle gère assez bien mais le travail n'avance pas bien . La poche des eaux finie par se rompre en début d'après-midi. A partir de ce moment, les contractions sont bien plus douloureuses. Nous descendons rapidement en salle d'accouchement pour la pose de la péridurale. Elle a peu dormi et a besoin de se reposer. Elle est très vite alitée de ce fait et le travail n'avance vraiment pas. En plus de ça, les médecins semblent inquiets sur les constances du bébé. Ils posent donc une électrode directement sur le crâne en passant par le col. À partir de là, ma sœur ne peut donc vraiment plus bouger puisqu'elle est "monitorée" en continu. Je lui parle alors de la possibilité de la césarienne. Par expérience professionnelle, je sais que qu'un déclenchement augmentent l'issue d'une césarienne (parfois même en urgence). Alors il me semble important de pouvoir aborder le sujet sereinement, là, au moment du travail, que dans la panique. C'est à ce moment que nous parlons du peau à peau de bienvenue. Elle me répond tout de suite : "s'il faut faire du peau à peau, fais-le ! S’il y a un problème, que je ne peux pas être là et qu’elle a besoin d’une présence, suis-la.” Cette réponse a scellé quelque chose de fort entre nous.
Nous voilà déjà à la tombée de la nuit, elle est à 4... et ça va durer jusqu'à 2 ou 3h du matin. Une attente qui va se prolonger une fois la dilatation complète pour la descente du bébé dans le bassin. Je décide de passer la nuit ici, avec elle. Finalement, ma nièce naît à 4h50, près de 24h après le début du déclenchement.
Un moment unique, plein d'émotions nouvelles. Une fois les premiers examens faits, je prends ma nièce emmaillotée dans mes bras et je chante une chanson (la même berceuse que je chante au nouveau-né dont je m'occupe dans le cadre de mon travail, lors des soins). Je la garde le temps qu'Elodie soit prise en charge. C'est la photo que vous avez mis avec le masque.
Je ne manque pas une occasion de venir à la maternité jusqu’à leur sortie. Chaque après-midi, je prends ma nièce sur moi le temps qu’Elodie puisse dormir et se reposer un peu. Une fois de retour à la maison, il est surtout question de lui donner confiance, de la rassurer, de la soutenir dans son allaitement, et lors des soins du bain. Par mon métier, ce sont des gestes, des automatismes que j’ai et que je lui transmets. Mais ce que je constate dans tout ça, ce qui importe le plus à ma sœur, c’est ma présence. Le fait de ne pas se sentir seule et démunie face à ce bébé qu’elle doit apprendre à connaître.
“ J’ai alors le sentiment criant qu’aucun dispositif ne répond vraiment à ses besoins, ni à ceux de tant d’autres mères isolées dans le tumulte de la grossesse et du post-partum. “
Une expérience qui me montre aussi les failles de notre système de santé. En vivant ce moment aux côtés de ma sœur, je me demande comment elle aurait traversé cette journée, seule. J’ai alors le sentiment criant qu’aucun dispositif ne répond vraiment à ses besoins, ni à ceux de tant d’autres mères isolées dans le tumulte de la grossesse et du post-partum. Les pros de santé ne sont pas toujours formés, les discours sont disparates et la charge de travail empêche de consacrer un temps de qualité à chaque maman. Le lendemain de son accouchement, je retrouve Elodie en pleurs, elle veut arrêter l'allaitement, elle n’y arrive pas. Je réagis tout de suite, je la rassure, je lui explique que sa réaction est légitime lorsqu’on est débordée de fatigue et d'émotions. Je lui parle de la patience qui est nécessaire. Je lui répète que ce n'est pas sa faute, qu'elle fait tout bien, que ça va être un travail sur la durée. On met en place des initiatives simples et on sauve ensemble son allaitement !
Ce vécu est un point de bascule pour moi. Après ça, je quitte la structure hospitalière dans laquelle je travaille pour créer mon propre cabinet* où je propose un soutien personnalisé aux jeunes familles : accompagnement à l’allaitement, au sommeil, aux soins du bébé, mais aussi à la santé mentale maternelle, au lien d’attachement, et à la reconstruction d’un quotidien plus doux.
" Je me sens parfois un peu seule dans ma voie mais je suis certaine que je ne fais pas fausse route. "
4 avril 2023.
Je me lance donc dans cette nouvelle aventure. J’ai déjà accompagné une centaine de familles, dont des mères célibataires. Pour moi, il est fondamental de prendre en considération les mères “entre deux systèmes”. Celles qui n’entrent pas toujours dans les cases médicales, qui sont souvent seules et qui peuvent être désemparées face à une situation complexe. Celles pour qui la PMI ne suffit pas, pour qui les injonctions s’accumulent, et qui ont besoin d’écoute, de concret et de lien. À mon niveau, je suis fière de pouvoir accompagner toutes ces femmes, dans un moment de vie crucial comme celui de la maternité. Ce que j’aime dans ce que je fais, c’est aussi de participer à ouvrir de nouvelles portes pour le métier d’infirmière qui pour le moment n’a pas vraiment de place dans le monde du périnatal. Mais je sais que ça peut changer, je le vois par les retours chaleureux et les encouragements des familles que je suis mais aussi des professionnel.le.s avec lesquel.le.s je travaille. Je me sens parfois un peu seule dans ma voie mais je suis certaine que je ne fais pas fausse route. Il faut juste être patiente, le temps que les choses changent et que les mentalités évoluent, jusqu’à ce que je sois reconnue pour ce que je fais.
" C’est là tout le paradoxe, on a besoin de soignants et d’accompagnants à la maternité et à la parentalité, mais rien n’est fait pour que des pros de santé comme moi puissent développer et vivre pleinement de leur activité. "
Aujourd’hui la Sécurité sociale ne reconnaît pas mon activité, ce qui signifie qu’aucune prise en charge n’est accordée aux familles. Tout le monde ne peut pas forcément accéder à cet accompagnement, faute de moyens. C’est là tout le paradoxe, on a besoin de soignants et d’accompagnants à la maternité et à la parentalité, mais rien n’est fait pour que des pros de santé comme moi puissent développer et vivre pleinement de leur activité. Tout cela limite mon impact et mon déploiement auprès de celles et ceux qui en ont besoin. C’est parfois dur, mais c’est aussi excitant de se sentir utile auprès des familles que j’ai aidées. "
Les tips d’Edwige
Quand on est enceinte seule, le plus important, c'est le soutien. C'est d’être accompagnée. C’est primordial de se sentir soutenue et de ne pas s’isoler.
Ne pas hésiter à demander de l’aide.
Echapper autant que possible aux discours culpabilisants.
Se faire confiance.
Ne pas oublier que chaque famille est singulière, il n’y a pas besoin d’être deux parents pour s’appeler famille.
La pensée freestyle d’Edwige
Je me bats pour faire exister des services comme Graine de parents mais je sais que mon combat est perdu d’avance si je reste toute seule, dans l’ombre. Alors aujourd'hui je vous raconte mon histoire, celle de ma sœur et de milliers d'autres femmes pour faire bouger les lignes.