On parle rarement des complications possibles liées à un curetage ou à une aspiration, après une interruption spontanée de grossesse, une IVG ou une IMG. L'un des risques ? Les synéchies utérines. Un mot compliqué pour nommer ces adhérences, souvent mal et tardivement diagnostiquées, qui empêchent les règles de revenir et une grossesse de débuter. C’est ce qu’a vécu Julia. Derrière son sourire, se cachent des années d’errances médicales, de douleurs et d'interventions pour tenter de "réparer" son corps et d’avoir un bébé. Aujourd’hui, elle témoigne pour alerter sur ce risque post-curetage et rappeler qu'un simple contrôle post-intervention peut permettre de se prémunir du pire.
” J’aimerais dire aux femmes, qu’en cas d’absence de règles après un curetage, il est essentiel de faire une hystéroscopie de contrôle pour vérifier que des adhérences utérines ne sont pas en train de se développer. “
“ Je m’appelle Julia, j'ai 37 ans.
Je suis Normande installée à Paris depuis bientôt 15 ans. Je suis vidéaste et j'ai ma propre société de production audiovisuelle.
Ma famille est composée de Charly, avec qui je suis en couple depuis une dizaine d'années, et de notre petit garçon de 2 ans et demi, Roman.
Je rencontre Charly, à une soirée, grâce à des amis communs. Assez rapidement, on se revoit à d'autres soirées. On se plaît, c'est évident. À l'époque, je suis dans une coloc’ avec 3 garçons, je suis mannequin et je fais beaucoup (trop) la fête. Très vite, il me propose de venir vivre avec lui, dans le quartier du Marais, dans un appart super mignon. Je dis “oui” tout de suite, c'est la belle vie :)
Après quelques mois ensemble, Charly me demande si je veux arrêter la pilule. Je lui ris au nez... Je n'ai jamais voulu d'enfant, et à 26 ans encore moins ! Très vite, on écarte le sujet sans qu'il ne ressente de frustration. Il me comprend. Je me sens trop jeune et puis je suis en pleine reconversion professionnelle, je commence à peine des études en audiovisuel. Ces études sont d'ailleurs une révélation pour moi ! Très vite, je me lance comme réalisatrice, cadreuse et monteuse, et ça marche très bien. Nous déménageons et achetons un superbe appartement tous les deux. La belle vie, toujours.
Et puis, un peu avant mes 30 ans, lors d'un retour de soirée en voiture avec une maman et son bébé, j'ai comme un électrochoc : je les trouve magnifiques, tellement fusionnels. D'un coup je réalise que moi aussi, je veux connaître ça, je veux être maman. Je crois que, dès le lendemain, j'en parle à Charly. Il dit “oui” tout de suite et, la semaine suivante, je suis chez ma gynéco pour arrêter la pilule et parler de la suite. J'admire mon mec pour ça : avoir été patient et avoir respecté ma réflexion, mon parcours professionnel et mon envie.
“ C’est la douche froide : grossesse non évolutive, le cœur ne bat plus. Je demande plusieurs fois au médecin de répéter, je ne veux pas y croire. “
2 ou 3 mois après l'arrêt de la pilule, en pleine nuit, je me réveille avec une douleur aux ovaires. Dans le doute, je fais un test de grossesse : positif ! Je n'en reviens pas ! Il est 3 heures du matin, je tente de réveiller Charly (c'est un gros dormeur, je crois qu'il ne réalise pas et se rendort). Le lendemain, quand il découvre le test, c’est la surprise. Il prend du temps à vraiment réaliser car cela fait très peu de temps que nous avons décidé d'essayer... Je me souviens, deux semaines plus tard, nous sommes à un concert et là, je sens son regard sur moi changer, il est particulièrement câlin et protecteur, je sens qu'il est plus que prêt.
Très vite, je fais une échographie de datation qui confirme que je suis bien enceinte depuis 3 semaines. J'entends le cœur qui bat. Je suis seule au rendez-vous mais tellement émue. Une phase d'intense romance avec Charly et de profond bonheur débute. 2 mois se passent, c'est Noël et j'annonce ma grossesse à toute ma famille, avec beaucoup d'émotions sans attendre la première “vraie” écho du premier trimestre, qui arrive juste après les Fêtes. Cette fois, Charly est avec moi mais là, c’est la douche froide : grossesse non évolutive, le cœur ne bat plus. Je demande plusieurs fois au médecin de répéter, je ne veux pas y croire. Il nous dit qu'il faut aller aux Urgences où j'aurai deux choix : un médicament ou un curetage. Je lui demande son avis : vu le stade un peu avancé de la grossesse (presque de 3 mois), il me conseille le curetage. Je me rends donc aux Urgences où nous attendons 6 heures dans une tristesse infinie avant de voir un médecin qui nous annonce que ce sera plutôt une aspiration, ce qui est moins “violent” que le curetage. Nous sommes vendredi et l’intervention ne pourra avoir lieu que lundi. Seul souci : je suis en tournage tout le weekend. “Bêtement”, je pars à mon tournage, en me disant que ça ira. Décision que je regrette encore aujourd'hui car, partir travailler avec des collègues et des clients loin de chez soi, en imaginant son bébé mort dans son ventre, (désolée pour la violence de cette formulation), c’est beaucoup trop dur à vivre et à cacher.
“ L'aspiration s'est bien déroulée, me dit-on, (...) mais mes règles ne reviennent pas. “
Le lundi, l'aspiration s'est bien déroulée, me dit-on, et je rentre chez moi le soir même. Très vite, on décide d'aller de l'avant, mais mes règles ne reviennent pas. Je retourne donc consulter la chirurgienne-gynécologue des Urgences qui m'a opérée et elle réalise que des résidus de l'embryon sont restés dans l'utérus. Une seconde intervention est donc programmée 3 mois plus tard pour les retirer par aspiration.
“ J'ai atteint le degré le plus grave des synéchies, c'est-à-dire une obstruction totale de l'utérus, les règles ne peuvent donc plus "passer" et toute grossesse est impossible. “
Mon corps se remet mais 2 mois plus tard, toujours pas de règles. Je retourne voir la gynécologue. Tout va bien, je dois patienter. Les mois passent, toujours pas de règles. La gynéco me dit que ça doit être "psychologique". Elle me donne un médicament pour aider au déclenchement des règles mais, là encore, 3 mois passent. Après une énième visite, elle me propose une hystéroscopie, c’est-à-dire le passage d'une caméra dans l'utérus. Je vois tout de suite à son visage qu'elle n'est pas sereine. Elle me fait mal en essayant de passer le col, elle force un peu, je ne dis rien, mais ça commence vraiment à être douloureux. Elle semble vraiment confuse. Elle me dit qu'elle doit voir avec une collègue et s’absente en me laissant avec la caméra dans l'utérus (à côté de mon conjoint penaud, génial...) D’après sa collègue, ce sont des synéchies utérines, des accolements des parois de l'utérus qui peuvent être graves. Dans mon cas, j'ai atteint le degré le plus grave des synéchies, c'est-à-dire une obstruction totale de l'utérus, les règles ne peuvent donc plus "passer" et toute grossesse est impossible. J'ai atteint ce stade car les synéchies n'ont pas été diagnostiquées assez tôt et elles se sont aggravées avec le temps et avec l'agressivité des aspirations. Je dois alors changer d'hôpital pour être prise en charge par des spécialistes. On me dirige vers l'Hôpital du Kremlin-Bicêtre, dans le service du Pr Fernandez (qui est maintenant à la retraite mais qui est un grand spécialiste des synéchies).
“ La vingtaine d'hystéroscopies que j'ai dû subir ces 5 dernières années m'ont changée. C'est une intrusion violente à chaque fois qui laisse des traces psychologiques et physiques. “
Vont s’en suivre 9 chirurgies par hystéroscopie pour essayer de lever ces synéchies qui se sont profondément installées par faute de diagnostic rapide. L'hystéroscopie peut se faire soit en cabinet. On parle alors d'une hystéroscopie diagnostique. Elle se fait sans anesthésie et permet, grâce au passage d'une caméra dans l'utérus, de déterminer la bonne santé de celui-ci. En revanche, l'hystéroscopie opératoire se passe au bloc, sous anesthésie, et permet de venir opérer une zone de l'utérus. Dans mon cas, il s’agit de venir découper les synéchies, à l‘aide de micro-ciseaux. Je trouve cet examen particulièrement anxiogène car le passage de la caméra est intrusif, souvent douloureux, et j'ai du mal à supporter de regarder le retour écran, qui est souvent annonciateur de mauvaises nouvelles. Très souvent, on me demande de noter ma douleur, et on me demande l'autorisation “d'aller plus loin”. On m'a parfois coupé des synéchies en cabinet, sans anesthésie, mais quasiment toujours avec mon accord. Mais la vingtaine d'hystéroscopies, que j'ai dû subir ces 5 dernières années, m'a changée. C'est une intrusion violente à chaque fois qui laisse des traces psychologiques et physiques. Avec les années, je finis par comprendre ce que je vois à l’écran, et à décrypter aussi le silence des médecins.
“ Mon endomètre est à présent très abîmé et mes chances de réussir à tomber enceinte très réduites. “
Après la quatrième opération, la gynécologue qui m'opère me conseille de partir en PMA car mon endomètre est à présent très abîmé et mes chances de réussir à tomber enceinte très réduites. Au début, on n’accueille pas si mal la PMA. Pour nous, c'est enfin une avancée vers une possibilité de solution "miracle" pour avoir un enfant. Mais on découvre que, pour que cela fonctionne, il faut donc m'opérer et juste après prévoir un transfert d'embryon(s) avant que les synéchies ne reviennent. Pas simple quand il s’agit de coordonner deux services dans deux hôpitaux différents... ça demande un certain...acharnement. Dans mon cas, pleurer au téléphone auprès des secrétariats est assez efficace !
La PMA nous soude même si, très vite le Covid arrive et m'oblige à tout faire, toute seule : les heures d'attente, les examens, les ponctions et même les transferts d'embryons... ça me rend très aigrie et en colère contre Charly. Je me sens alors vraiment seule et la majorité des examens sont en plus annonciateurs de mauvaises nouvelles, c'est très dur à encaisser seule.
Et puis, après 4 ans de parcours, 3 FIV et 8 transferts d'embryons, c'est le 8ème, miraculeux, qui a fini par prendre ! Je ressens beaucoup de joie mais aussi énormément de stress de le perdre pendant les 3 premiers mois. Charly est super heureux et très positif, beaucoup plus que moi. Pour lui, le plus dur est fait... Mais à 4 mois de grossesse je manque de perdre mon bébé, car je n'ai plus que quelques millimètres de col. Est-ce lié aux synéchies ? Les médecins sont très partagés sur ce sujet... personne ne me le confirme avec certitude. On me parle d'un col qui aurait pu être ramolli à cause des très nombreuses interventions sur mon utérus et des nombreux passages de caméras par le col ainsi que les deux aspirations. Le fait est que je passe par un double cerclage, une hospitalisation, beaucoup de larmes. Je vis cette nouvelle extrêmement mal. Pour moi, tout est à nouveau en grand danger. Après le cerclage, je reste deux semaines à l'hôpital, le pédiatre et son équipe passent tous les trois jours pour nous tenir au courant de l’évolution du bébé, des conséquences s’il devait naître maintenant. Un bébé en couveuse avec potentiellement de lourds handicaps. Je suis arrivée à un tel niveau de stress que je ne fais que trembler et je n'arrive plus à parler. La psychologue de l'hôpital me donne un casque de réalité virtuelle pour faire de la méditation. Et ça, c'est INCROYABLE !
Finalement, mon bébé naît à terme. Le jour de l'accouchement, j'ai des douleurs en pleine nuit... Pour moi, ce sont des douleurs de fin de grossesse. Mais pour Charly : "si y'a un doute, y'a pas de doute, on fonce !”
“ J’accouche en urgence, 1 heure plus tard, sur le sol, sans avoir pu avoir la péridurale... “
Quelques minutes plus tard, on est dans la voiture et les contractions commencent. Finalement, j'accouche en urgence, 1 heure plus tard, sur le sol, sans avoir pu avoir la péridurale... J'ai le temps de dire aux infirmières pour mes synéchies et le risque d'un placenta reste coincé... elles me rassurent, me disent que ce risque n’est pas noté dans mon dossier.
Or, quelques minutes après que Roman soit né, et que nos larmes de soulagement et de bonheur soient versées, je commence à perdre beaucoup de sang. En quelques minutes, tout devient très flou pour moi, on m'emmène au bloc, on m'endort, on me transfuse... Le placenta était donc resté coincé. Hémorragie de la délivrance, souvent liée aux synéchies.
Le réveil est compliqué. Les nuits suivantes sont difficiles. Je suis faible et Charly ne peut pas dormir avec nous, à cause du protocole Covid (on l'adore celui-là). On est heureux de rentrer chez nous. Tout se met en place très naturellement et on savoure chaque instant tous les trois. Je réussis à allaiter. D’ailleurs, mon allaitement, c’est véritablement ce qui m’a donné l'impression que tout était enfin derrière moi, que je pouvais suffire à mon enfant, sans intervention de la médecine, dans le calme et la sérénité.
Si j’écris ici c’est parce que je veux vraiment avertir et prévenir les femmes des risques de synéchies liés aux aspirations et aux curetages.
J’aimerais leur dire de veiller absolument au retour des règles le mois suivant l’intervention. J’aimerais leur dire qu’en cas d’absence de règles, il est essentiel de faire une hystéroscopie de contrôle pour vérifier que des synéchies ne sont pas en train de se développer.
Je voudrais leur dire que plus vite les synéchies sont diagnostiquées, traitées, moins leur impact est grave sur leur corps.
Je voudrais leur dire de s’écouter.
Moi, je me suis acharnée à vouloir comprendre ce qui se passait et ça m’a permis aussi de rencontrer des médecins experts et d’avoir mon bébé miracle.
Aujourd'hui, j'ai décidé d'arrêter tout suivi de mes synéchies car je suis un peu traumatisée par toutes ces nombreuses interventions sur mon utérus, et les hystéroscopies que je trouve douloureuses et invasives. Je me limite à un suivi annuel chez le gynécologue pour frottis et contrôle plus classique.
Quand je repense à tout ce parcours synéchies/PMA, je me dis que c’est assez troublant comme expérience. Au fil du temps, j'ai fini par douter de mon corps, chaque examen était douloureux, intrusif et souvent porteur de mauvaises nouvelles. Ce parcours a créé un trouble qui dure car, aujourd'hui encore, je redoute chaque examen, chaque douleur, chaque blessure, j'ai toujours l'impression que ça peut dégénérer. Alors j’espère sincèrement que mon témoignage permettra aux femmes et aux médecins d’être plus sensibilisé.e.s aux risques de synéchie utérine pour diminuer l'errance médicale et améliorer la prise en charge. “
Les tips de Julia
Écouter son corps, c’est indispensable.
Ne pas hésiter à demander un second avis quand on doute.
Ne pas hésiter à changer de pro de santé si on ne se sent pas bien avec un médecin/chirurgien/gynéco.
La pensée freestyle de Julia
Aujourd'hui j'aimerais contribuer à libérer la parole sur l'après “fausse couche” : notre corps a été mis à rude épreuve, et il est essentiel de prendre le temps de se réparer physiquement et psychologiquement, de l’écouter.
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ℹ️ Les synéchies, on en parle ?
D’abord, une définition : c’est une adhésion partielle ou complète des parois utérines. Les synéchies peuvent concerner différentes parties de l’utérus et évoluent habituellement vers un tissu fibreux qui rend leur traitement plus difficile, avec des niveaux de sévérité graduels.
Elles sont assez peu connues et parfois difficiles à traiter. Pourtant, elles sont un facteur d’infertilité important quand elles ne sont pas rapidement et correctement prises en charge.
⚠️ Face à une aspiration ou un curetage, c’est bien d’avoir à l’esprit qu’une synéchie peut se développer.
Les symptômes rapportés par les patientes et qui doivent alerter sont :
🚨 l’absence de règles ou des règles très très légères,
🚨 des arrêts de grossesses spontanés et répétés.
Source : Collectif Bamp
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