Autoportrait d’une femme en PMA - Valentine

Valentine est photographe. Son appareil argentique l’a sauvée des épreuves du deuil périnatal, de la PMA et de l’attente. En photographiant son corps, son chagrin, ses traitements, les longs couloirs froids des hôpitaux et sa seconde grossesse, elle a d’abord pansé ses blessures. Et puis de cette intimité capturée est né un livre-photo, I've always wanted to be a mom. Un témoignage rare et lumineux sur ce que l’on ne devrait pas traverser seules, dans le silence.  

Je m'appelle Valentine, j'ai 29 ans.  
Je suis Française mais j'ai grandi à Bruxelles, en Belgique. Je suis photographe. 
Ma famille est composée de mon mari, Florian, de notre fille et de notre petite étoile. 

Juin 2018. Je rencontre Florian à l'université. On ne fait pas le même master mais nous avons des matières communes. On finit par s’ajouter sur Facebook où l’on échange beaucoup, le courant passe bien donc on se donne rendez-vous assez vite, quelques jours plus tard sur les quais de Seine. On discute pendant des heures de tout et de rien, de nos vies. C’est un vrai coup de foudre ! Je n’ai qu’une envie : le revoir ! Je comprends vite que c’est pareil pour lui : il m’invite la semaine d’après pour célébrer son anniversaire... depuis, on ne s’est plus quittés. 

femme en pma reportage photo

Fin 2020. Florian a une opportunité professionnelle, à Milan, et il veut que je vienne avec lui. Moi, j’adore voyager alors je lui dis oui tout de suite. Et là-bas, on a comme un déclic. Nous sommes en pleine période de Covid, c’est compliqué pour moi de trouver du travail alors je prends un job de baby-sitter. Je garde une petite fille franco-italienne et un jour ses parents me la confient un week-end entier. On passe du temps tous les 3, au parc, à l’aquarium. Je sens que l’idée d’avoir un enfant ne lui fait plus aussi peur et, moi, je me projette avec lui dans une vie de famille. 

2021. On se marie à Rome, là où en mai, quelques mois plus tôt, il m’a fait sa demande devant la fontaine de Trevi, vide de touristes (merci Covid). Unique ! 

2022. Florian est muté en Irlande, à Dublin. Là, il me fait comprendre que si on a tous les deux un travail, on peut essayer. Pas besoin de me le dire deux fois ! En un mois je trouve un boulot dans le marketing pour une boîte française qui, comme beaucoup de sociétés, a ouvert des bureaux à Dublin. Il faut savoir que l’Irlande est un pays en pleine évolution depuis quelques années, avec plein de grosses entreprises qui ouvrent des bureaux là-bas. Il y a beaucoup d’expats ce qui est très chouette pour rencontrer des gens. La qualité de vie sur place est assez géniale. On se déplace à vélo, il y a de nombreux espaces verts et la gentillesse des gens est immense. Il manque juste un peu de musées et de sorties culturelles pour que ce soit parfait. 

 

“ Les mois passent et rien ne se passe... Moi, j’ai cette pression (que je me mets), cette attente (qui grandit) et cette déception (intense) à en pleurer quand les règles arrivent tous les mois.  

 

À cette époque, on commence à essayer sans trop se mettre de pression, mais les mois passent et rien ne se passe... Je me sens découragée, j'ai peur que ça ne fonctionne pas. Je commence à tout suivre, tout calculer, je ne pense qu'à ça. En plus on a un groupe d'amis pour qui, j'ai l'impression, que tout est super simple. Chacun.e nous annonce sa grossesse. Moi, j’ai cette pression (que je me mets), cette attente (qui grandit) et cette déception (intense) à en pleurer quand les règles arrivent tous les mois. 
 

Avec Florian, on s'est promis de toujours faire les tests de grossesse ensemble, pour fêter ça ensemble, ou pleurer ensemble.  
 

Août 2022. On décide d'aller voir un médecin pour faire des tests, se rassurer et voir où on en est. C’est l’été, on s’aime, j'abandonne les tests d'ovulation et on ne se met pas la pression... Avec Florian, on s'est promis de toujours faire les tests de grossesse ensemble, pour fêter ça ensemble, ou pleurer ensemble. Mais, comme nous avions un peu lâché prise, un matin, seule, je ne sais pas pourquoi, je ressens le besoin de faire un test de grossesse. Il est positif ! À cet instant, la lumière de notre appartement est belle, je prends mon appareil et je capture ce moment. Et puis je commence à photographier ma grossesse. J’ai toujours eu l’idée de documenter ce moment de ma vie pour un jour la montrer à mon enfant.   

 
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En Irlande, le droit à l'IVG et à l'IMG est illégal après 12SA, même pour des raisons médicales. (...) La généticienne nous parle alors d'aller à Londres où les lois sont plus souples pour une IMG  
 

On commence les premiers rendez-vous pour confirmer la grossesse, les prises de sang, etc. Nous apprenons très vite que nous attendons un petit garçon. Puis, alors que je suis à 12 semaines de grossesse, c'est la douche froide. On nous annonce que notre bébé à une maladie génétique. À ce stade-là de la grossesse, il faut savoir qu'en Irlande, le droit d'interrompre une grossesse est légal depuis 2019 mais une IVG et ou IMG devient illégale après 12 semaines de grossesse. La généticienne nous parle alors d'aller à Londres où les lois sont plus souples pour une IMG. Nous sortons de ce rendez-vous le cœur brisé, à devoir prendre une décision impossible. Pour nous, il est inconcevable de vivre ça loin des nôtres, et sans être entourés. Alors nous nous rendons en Belgique où vivent encore mes parents.  
 

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Novembre 2022. 
L'IMG a donc lieu en Belgique. Je suis alors à 14 semaines de grossesse et je n’ai aucune idée de ce qui m’arrive. Je suis dans un flou total, comme si je me dédoublais et que je regardais de l’extérieur ce qui m’arrive. Une partie de moi n’arrive pas à comprendre ce qu’il se passe, une autre veut juste que ce cauchemar se termine. J’échange beaucoup avec la gynécologue qui réalise l’interruption de grossesse, elle nous rassure et nous sommes aujourd’hui encore en contact avec elle. Elle compte beaucoup pour moi.
 
 

“ Attendre que ce bébé, malade mais encore en vie dans mon ventre, parte. Et vouloir mourir de chagrin plutôt que de lui faire subir ça.  
 

Je me souviens aussi de l’attente entre le diagnostic et le jour de l’interruption : 10 jours, interminables. Attendre que ce bébé, malade mais encore en vie dans mon ventre, parte. Et vouloir mourir de chagrin plutôt que de lui faire subir ça.  
 

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Après l’interruption de grossesse, rester à Dublin est impossible pour moi. Revenir dans cet appartement, où nous aurions dû être trois avec cette deuxième chambre qui restera vide... Finalement, tout me rappelle ce qu’aurait pu être notre vie avec notre garçon si tout s’était bien passé. C’est insoutenable pour moi. Et puis, à part le travail, rien ne nous retient ici, toute notre famille est en France, alors pourquoi ne pas rentrer ?   

En parallèle, à Bruxelles nous sommes suivis, on nous parle de faire une PMA (avec une FIV DPI) pour éviter de risquer de transmettre à nouveau ce gène au bébé. Nous décidons de faire la procédure à Bruxelles car, à Paris, les délais d’attente sont de 18 mois pour avoir un premier rendez-vous. Cette attente me semble impossible après ce deuil qu’on vient de vivre.  
 

“ Je me sens tellement seule, tellement triste, alors je photographie tout ce que je vis pour y donner du sens.  
 

Je ressens un vide immense, je pleure tous les jours. Je me sens tellement seule, tellement triste, alors je photographie tout ce que je vis pour y donner du sens. J’ai toujours fait de la photo. Petite, j’empruntais l’appareil de mon père et je prenais des photos avec, de mes amies, de mes voyages, de ma famille. J’ai une approche plutôt documentaire, j’aime questionner le lien entre l’individu et le territoire. Comme Bliss, j’aime questionner l’intime, raconter des récits à la fois personnels et universels à travers une approche sensible et engagée. J’aime photographier mon quotidien, les choses qui m’entourent et capturer des fragments de vie. Et l’argentique est pour moi un vrai moyen d’expression. Le fait de ne pas voir sa photo immédiatement, de devoir attendre de la développer, d’avoir un nombre limité par pellicule, tout ça cultive la nécessité d’avoir une intention dans chaque image. Et puis il y a ce grain. 
 

La photographie devient mon seule moyen de survie “ 
 

Je commence donc à photographier toutes les étapes de ce parcours si tumultueux. Les piqûres, les rendez-vous au labo et chez le médecin. La photographie devient mon moyen de survie, elle rend l'attente plus douce. Au lieu de faire une fixette sur ce bébé que je désire et ce bébé perdu, chaque photo devient l'objectif du jour. J'écris aussi sur ce que je vis et je garde précieusement chaque note, chaque compte-rendu et chaque écho comme un témoignage de cette période.  
 

Notre souci, à nous, c'est la génétique.  

Comme je n’ai pas de problème de fertilité, je réagis bien aux traitements et nous arrivons à avoir pas mal de follicules. Notre souci, à nous, c'est la génétique. Une fois tous les examens faits sur nos embryons, seul un est transférable.  
 

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Fin juillet 2023. On transfère l’embryon “sain” et début août je reçois un premier résultat : négatif, je ne suis pas enceinte. Toute la pression retombe, toutes les émotions surgissent, j'ai l'impression que je ne vais jamais y arriver. Mais c’est notre premier essai. Donc rebelotte, on enchaîne piqûres, rendez-vous médicaux et puis la ponction... Cette fois, nous avons 9 embryons à tester. Une fois le DPI (diagnostic génétique préimplantatoire) fait, nous en avons 2 qui sont transférables.  

Novembre 2023. Un embryon sur deux est transféré Bizarrement, je n’ai aucune attente. Comme le premier transfert n’a pas fonctionné, je me mets en tête que celui-ci a des chances de faire pareil, comme si m’attendre à un échec était plus rassurant. Alors on vit notre vie et puis arrivent les résultats de la prise de sang : c’est positif ! Évidemment, on est fous de joie. 
 

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Cette deuxième grossesse est assez stressante, surtout au début. Je vis dans la peur constante que tout s’arrête, que l’on m’annonce une mauvaise nouvelle. J’ai un gynécologue très compréhensif qui accepte que je fasse des échographies tous les mois, ce qui me rassure énormément. Mais le début de la grossesse est ponctué de moments compliqués. Les risques de trisomie ne sont pas bons : 1/170. Je dois refaire les tests, gérer l’attente toujours trop longue et angoissante. J’apprends aussi que le résultat pour le CMV est faiblement positif. Heureusement j’apprends que c’est le laboratoire qui a commis une erreur dans les analyses (je n’y suis plus jamais retournée).  

Puis je dépasse enfin les 14 semaines de grossesse, je peux souffler. La photo devient alors salvatrice. Photographier mon corps qui change pour garder trace de ce que j’ai tant attendu. Je ne le sais pas encore mais je suis en train de constituer ce qui va devenir le plus personnel de mes projets photographiques... 

Juillet 2024. Il fait très chaud chez nous. Ça fait plusieurs semaines que je ne dors pas, merci la chaleur et mes envies de faire pipi. Ça fait plusieurs semaines aussi que j’ai des contractions. Une nuit, vers une heure du matin, je me réveille pour aller aux toilettes et, à peine recouchée, je sens un liquide couler entre mes jambes, je sens que ça goutte : je perds les eaux ! Je réveille Florian qui est tout excité. Moi, je n’ai qu’une hâte : ne plus être enceinte et enfin rencontrer mon bébé ! Douche, valise, taxi et on arrive vers 2h00 du matin à la maternité. Mon col est dilaté d’un centimètre. Pour la péridurale, il va falloir attendre... Je demande à prendre un bain. On m’installe dans une petite pièce avec une grande baignoire rose. L’eau est chaude, ça aide à accélérer les choses. Le col est ouvert à 3 cm. La douleur est déjà très intense pour moi alors je choisis la péridurale peu dosée. Choix que je ne regrette pas du tout. Au moment de la poussée, je suis reposée et en forme pour pousser !  
 

Photographier ma maternité et écrire ce livre-photo, ça m'a permis de guérir. “ 

 

Je me souviens de la première tétée, de mon appareil qui passe de Florian à moi pour immortaliser chaque instant, chaque détail de cette pièce. Et puis, quand ma fille a 1 mois, je me replonge dans toutes les photos que j’ai faites ces dernières années. Je repense à tous ces moments où je me suis sentie très seule. Je me rends compte que documenter mon parcours PMA a été un véritable moyen de survie et surtout je ne connais pas de femme photographe ayant documenté ces moments. Ce travail, j’essaye pendant plusieurs mois de le montrer, de voir comment l’exposer et puis c’est finalement sous la forme d’un livre que mon récit a fini par prendre vie : "I've always wanted to be a mom". Ce livre-photo, je l’ai d’abord écrit pour moi. Photographier mon parcours PMA a été mon moyen de survie, ça m'a permis de guérir. Maintenant, j’espère qu’il aidera les couples et les personnes qui traversent le deuil périnatal, la PMA, l’attente, l’espoir et vivent une maternité de manière différente, souvent en silence.  

 

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Les tips de Valentine 

Ne pas hésiter à dire les choses, dire qu’on a besoin d’aide et comment on aimerait être aider. Dire qu’on aimerait parler du bébé (ou pas). Moi ce qui m’a aidé c’est de lui dire au revoir, de lui écrire. Le faire exister à travers mes photos. Me plonger dans un projet ou un hobby différemment aussi m’a aidée. 

La pensée freestyle de Valentine

J’ai cru que je n’allais pas survivre à cette épreuve de l’IMG, j’ai beaucoup pensé à ce que j’allais faire dans ce monde après ça, si j’allais y arriver, et si ça valait le coup de se battre pour rester. Et aujourd’hui je peux dire que oui, ça valait le coup.

Pour découvrir le livre de Valentine.

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