Tomber enceinte. Y croire. Et puis plus rien... Claire a vécu l’épreuve de l’œuf clair, quand une grossesse est vouée à ne pas évoluer. Au corps "vide" s’est ajoutée la brutalité de certains mots mal choisis. Comme IVG. Un terme qui n’a fait que creuser la douleur, l’incompréhension, et la sensation de ne pas vraiment être à sa place. Ce qu’elle raconte, c’est aussi ce qu’on oublie trop souvent : on ne peut pas laisser les femmes repartir chez elles comme si ce qu’elles venaient de vivre n’était pas grave et sans conséquences. Parce que parfois, ces épreuves-là laissent des traces invisibles... mais indélébiles.
👋 “ Je m’appelle Claire, j’ai 31 ans.
Je vis à Bourges et je suis conseillère en assurance.
Ma famille est composée de mon conjoint Alexandre et de nos deux garçons : Éden 8 ans et Naël 3 ans.
---- Novembre 2011
On est aux 18 ans d’un ami commun. On ne se parle pas à cette soirée mais on se remarque et il vient me parler sur Messenger quelques jours plus tard. Après s’être tournés autour un moment, on finit par se mettre ensemble lors d’un autre anniversaire. On a 18 ans. Alexandre est quelqu'un de solide, doux et aimant, je le vois tout de suite. C'est ce qui me fait tomber amoureuse. À cette époque, je viens de perdre ma meilleure amie dans un accident et il est d'un soutien incroyable. Evidemment, on connaît des hauts et des bas mais, au bout d’un an de relation, on décide de s’installer ensemble pour faire nos études. Très rapidement, on parle d’avoir des enfants. On sait qu’on les veut, en étant jeunes.
---- Septembre 2015
Nous sommes installés ensemble à Orléans. Et c’est là qu’on décide de fonder notre famille. Je tombe enceinte très rapidement, une semaine après l’arrêt de la pilule. La grossesse se passe extrêmement bien mais je ressens une fatigue extrême. Si je le pouvais, je passerais ma vie à dormir. Pour moi, cette première grossesse est un moment de puissance féminine. Je me trouve belle, sereine, je suis joyeuse et je me sens capable de tout. Mon instinct de protection s’éveille à ce moment-là pour ne plus me quitter. Je sens que mon enfant va compter plus que tout, que je serai capable de tout pour lui.
---- 11 juin 2016
Dans la journée, je ressens les premières contractions. Après un passage à la maternité et la pose d’un monitoring, nous rentrons. Durant la nuit, les vraies contractions arrivent. Je sors le chrono. Je patiente 2 heures et à 04h00 du matin, on part pour la maternité. Péridurale, attente et douceur. La sage-femme qui m'accouche pratique l'acupuncture et me pique à deux endroits aux chevilles pour "assouplir le col". Je ne sais pas si ça a marché mais force est de constater qu’après avoir accouché, je n’ai ni déchirure ni épisiotomie, alors que mon fils pèse tout de même 3kg835 pour 52 cm. Quand on me le pose sur moi, je ressens une émotion incommensurable.
---- 2019
Nous revenons vivre à Bourges pour nous rapprocher de nos familles respectives. Nous sommes en plein chantier dans notre maison et Eden s’apprête à entrer à l'école. Alexandre, lui, travaille dans une autre ville depuis 3 mois et je suis donc seule la semaine avec Eden. Mais comme on n’a peur de rien, on se lance pour un deuxième bébé. On l'espère, on le désire.
Comme je suis tombée enceinte d’Eden, très rapidement, je suis persuadée que là aussi, ça va aller vite. Et en effet, un mois plus tard, le test est positif !! On est fous de joie. Mon corps montre déjà des signes de grossesse. Je suis sur un petit nuage, Alexandre aussi. On en parle à tout le monde, Eden est au courant, bref la joie !
“ Un gros blanc… elle m’annonce qu’elle ne voit “rien”, que ce n’est pas une grossesse évolutive. “
Mais je saigne… Comme de grosses règles en continu. Je dois quand même changer mes protections plus souvent que lorsque j'ai mes règles. Ça m’inquiète. Une amie infirmière me dit que c’est ok, que c’est certainement la nidation et qu’il n’y a pas de raison de m’inquiéter. Je saigne quand même beaucoup. Ça fait déjà trois jours. Je me décide à appeler les urgences qui me conseillent de venir. J’y vais. J’attends. Après deux heures en salle d’attente, j’apprends que la gynécologue qui devait me voir est repartie. D’après elle, il n’y a pas d’urgence. On me conseille quand même de revenir à 22h00, le soir même. Cette fois, je demande à une de mes meilleures amies de m’accompagner aux urgences. Cette fois, la gynécologue nous reçoit, me dit que de toute façon ce n’est sûrement pas une urgence, que je m’inquiète trop. Limite, j’ai l’impression de la déranger en pleine soirée… Puis un gros blanc… elle m’annonce qu’elle ne voit “rien”, que ce n’est pas une grossesse évolutive. Elle met deux mots sur ce qui m’arrive : “fausse couche” et “œuf clair”.
" Je me souviens que la gynéco emploie le mot IVG. À ce moment, je ne me rends pas compte que ce n’est pas approprié. "
L’œuf clair, ma mère m’en avait parlé au moment où je lui avais parlé de mon envie de tomber enceinte. Elle m'avait expliqué que ça lui était arrivé plusieurs fois avant qu'elle tombe enceinte de mon frère et que cela pouvait être traumatisant, psychologiquement. J'avais entendu sans vraiment y prêter attention.
Dans la salle d’examen, la gynéco m’explique que l’œuf clair devrait se décrocher tout seul. Elle me propose donc d’attendre mais me parle aussi de la possibilité d’un curetage. Je me souviens que la gynéco emploie le mot IVG. À ce moment, je ne me rends pas compte que ce n’est pas approprié. Je ressens de l'injustice, de l'incompréhension, de la tristesse et du jugement. À ce moment-là, je crois encore à la possibilité d’une erreur médicale.
---- Une semaine plus tard.
Je me rends à un second rendez-vous. Là, le gynéco me semble plus dans l’empathie mais lui aussi me parle de curetage et de prendre rendez-vous pour une IVG. Troisième rendez-vous et nouvelle visite de contrôle. C’est avec le même gynécologue, sauf que cette fois, en arrivant dans la salle d’examen, je découvre qu'un interne est là. Je m'installe et l'échographie pelvienne commence. L’interne s’installe en face de moi qui suis donc en position gynécologique, sans me demander si ça me gêne (et ça me gêne). Ils ne parlent qu’entre eux, comme si je n’étais pas là. Ils m’annoncent que l’œuf clair ne partira pas seul et que je dois vite prendre rendez-vous pour une aspiration. Là, ils enchaînent sur ce que rapporte financièrement un acte comme une IVG (rien d’après eux). Je sors de ce rendez-vous en pleurs, avec une convocation pour un curetage. Je suis sonnée par ce que je viens de vivre et d’entendre.
---- Une semaine plus tard.
Je me rends à l’hôpital pour le curetage. Je suis installée dans une chambre avec une femme qui, à ce que je comprends, a de gros soucis pour tomber enceinte. Je ne me sens pas légitime dans ma douleur, d’autant plus que les infirmières et soignantes me disent sans cesse « vous êtes la dame pour l’IVG ?!”, ça me met mal par rapport à elle.
“ J’arrive au bloc et rien ne va, j’ai l’impression d’être un bout de chair. “
J’arrive au bloc et rien ne va, j’ai l’impression d’être un bout de chair. J'ai bien conscience que cet acte est banal pour les médecins, qu'ils doivent le faire tous les jours mais ça manque vraiment d’humanité. Il y a une façon de traiter les patientes, de prendre le temps de parler vraiment, d'expliquer, de regarder en face la femme qui vit une épreuve immense. Là, j'ai l'impression d'être un numéro. Je ne vois même pas le gynécologue qui réalise le curetage. Je m’accroche au regard de cette femme anesthésiste. Je sens les larmes couler, mon corps trembler. J’ai chaud et froid en même temps. Je m’endors.
“ Je touche mon ventre. Je me sens vide. Vidée de vie, d'espoir et de rêve aussi. Il n'y a plus rien et je ne l'ai pas choisi. ”
Je me réveille après l’intervention. Je touche mon ventre. Je me sens vide. Vidée de vie, d'espoir et de rêve aussi. Il n'y a plus rien et je ne l'ai pas choisi. Je n’ai aucun débrief de ce qui s’est passé ni comment ça s’est passé.
Après l’intervention, physiquement, tout est ok. Je me remets facilement et rapidement. Psychologiquement et intérieurement, je m'effondre... J'ai le cœur en miettes et je déteste ce corps qui n'a pas su garder ce bébé. Mais je donne le change. Je dois aller bien au travail, à la maison, avec mon fils. Je n'en parle plus. Je ne montre rien, je mets tout sous le tapis. Je me dis que personne ne comprendrait, que je suis seule et que je dois gérer seule. Je me flagelle continuellement. Je me répète que tout est ma faute. Je recommence à fumer. Beaucoup. Je sombre.
Je demande de l’aide à mon médecin traitant, en lui demandant deux ou trois jours d’arrêt, il me prescrit du Xanax... Pendant un an, rien ne se passe. Je ne ressens ni joie ni malheur. Je ne suis plus vraiment moi. Je pleure énormément quand je suis seule ou avec Alexandre. Il est d'un grand soutien, me laisse la porte ouverte si jamais je veux parler. Il est à mes côtés, me dit des mots rassurants, bienveillants. Durant cette année, il porte sur ses épaules mes silences, mes pleurs, mes soupirs, mon malheur. Il donne le change devant notre fils, prend le relais quand je ne peux plus retenir mes larmes pour que je puisse m'isoler. Il est là sans condition.
Je décide d’aller voir une psy avec qui je travaille sur la perte de cette grossesse mais aussi sur mon lourd passé en tant qu'enfant et qu'adolescente, sur mon père et son absence, sur le sentiment d'abandon qui me suit depuis toujours, sur ma capacité à laisser partir les êtres que j'aime.
En parallèle de ça, j’essaye de tomber enceinte depuis le curetage. À ce moment, je pense que je n'y arriverai plus jamais. Je pense sincèrement que le curetage m'a rendue stérile, surtout que je n’ai eu aucun compte rendu de l'opération, aucune explication, aucun dialogue avec le médecin. Je psychote sur mon état et ma capacité à tomber enceinte à nouveau.
---- Un an et demi plus tard.
Je retombe enfin enceinte de ma deuxième merveille. Mais cette nouvelle grossesse est terrible psychologiquement pour moi, je n’arrive pas à me réjouir. J'ai peur de ne pas être capable de m'investir, j'ai peur de perdre ce bébé, j'ai peur de tout finalement, et je n'arrive pas à être pleinement heureuse alors que je désire cet enfant. Je m'en veux de ressentir ça. Il faudra attendre la naissance de Naël pour me sentir complète, entière, à ma place.
“ Que l'intervention soit voulue ou non, il faudrait pouvoir mettre en place un accompagnement psychologique, ne pas laisser les femmes repartir chez elles avec le sentiment que ce qu'elles viennent de vivre n'est pas grave et sans conséquences. Parce que ça laisse des traces indélébiles. “
Ça fait plus de 5 ans que ça s’est passé mais c’est toujours aussi présent dans ma tête, dans mon cœur et dans ma vie. Une grossesse qui se termine à cause d’un œuf clair et ce que cela peut impliquer psychologiquement, on en parle nulle part. Alors que j’ai trouvé ça extrêmement violent à vivre. Que l'intervention soit voulue ou non, il faudrait pouvoir mettre en place un accompagnement psychologique, ne pas laisser les femmes repartir chez elles avec le sentiment que, ce qu'elles viennent de vivre n'est pas légitime, n'est pas arrivé ou n'est pas grave et sans conséquences. Parce que ça laisse des traces indélébiles.
Les tips de Claire
Ne pas se renfermer. Il y a forcément des oreilles attentives prêtes à écouter et à accueillir ce qu’on a à dire.
Ne pas se sentir illégitime dans ce que l’on ressent.
Se souvenir que tout passe. On apprend à vivre avec.
La pensée freestyle de Claire
J’aimerais que ce témoignage puisse aider le maximum de personnes, que celles qui vivent ce que j’ai vécu puissent y trouver du réconfort. Je voudrais que les professionnels de santé puissent aborder plus facilement le phénomène de l’œuf clair, afin de mieux informer et déculpabiliser les femmes.