Bébé en réanimation : courir pour tenir - Gaëtan

Quelques heures à peine après être devenu père, Gaëtan voit son nouveau-né emmené d’urgence en réanimation. En une fraction de seconde, le bonheur laisse place à la peur. Alors pour rester debout malgré le chaos, Gaëtan s’échappe chaque jour. Une heure, rien qu’à lui. Une heure pour courir et tenir bon. C’est là, dans cette bulle d’air, que sa peine se transforme en élan et qu’une idée chemine en lui, un défi un peu fou : courir 440 kilomètres à travers ses Vosges natales, au profit de l’association Tête en l’air. Une grande traversée pour sa fille et tous les autres bébés hospitalisés. 

" Je m'appelle Gaëtan, j'ai 31 ans.  
Je suis né à Saint-Dié-des-Vosges au pied du massif des Vosges. Je suis neurochirurgien de profession. 
Ma famille est composée de mon épouse, Alice, et de notre fille Constance. 

Quand je rencontre Alice, nous venons tous deux de réussir notre concours de fin de première année de médecine en Lorraine. Nous avons toute la vie devant nous. Être avec elle est très vite une évidence pour moi et notre relation débute en avril 2013 pour ne plus nous quitter du regard. 
 

 

La prise de sang de contrôle montre finalement une décroissance des marqueurs de grossesse, signant donc un arrêt spontané de cette grossesse.  
 

Septembre 2021. Deux mois après notre mariage, Alice tombe enceinte. Je me souviens de ce jour où elle moffre une tasse à café avec l’inscription « Dad ». Nous sommes très heureux tous les deux que ce projet de grossesse se concrétise aussi vite après notre mariage. De retour en Lorraine, pour les fêtes de Noël, il est grand temps d'annoncer la bonne nouvelle à notre famille et notamment aux quatre futurs grands-parents. La première échographie de grossesse est prévue le 24 décembre, parfait pour imprimer une photo de l'échographie et la sortir le soir de Noël pour prévenir tout le monde... Mais lors de l’échographie, la sage-femme laisse planer un doute sur la vitalité de notre futur enfant, en le trouvant « bien trop petit » pour un embryon de 3 mois. Elle conseille alors à Alice de réaliser deux prises de sang à 48h d'intervalle pour vérifier que les marqueurs de grossesse sont bien en augmentation. Nous voilà donc un 24 décembre à chercher un laboratoire plutôt qu'à aller imprimer la photo de l'échographie. Et ce même soir de Noël 2021, vers 22h, le résultat des marqueurs biologiques nous arrive. Ils sont un peu moins hauts que prévu mais nettement positifs tout de même. Nous décidons alors d'annoncer la grossesse ce soir-là à toute notre famille, en offrant un cadeau supplémentaire au dessert. Tout le monde est ravi de cette nouvelle. Et puis, 36h plus tard, le 26 décembre, vers midi, nous devons rappeler tout le monde pour leur annoncer la triste nouvelle : la prise de sang de contrôle montre finalement une décroissance des marqueurs de grossesse, signant donc un arrêt spontané de cette grossesse. Cette nouvelle est très compliquée à gérer pour nous, surtout que je ne suis pas auprès d'Alice quand elle a les résultats, nous étions alors tous les deux au travail. Quand je la retrouve le soir même, elle est en larmes. La magie de Noël a disparu et cette soirée du 24 décembre nous semble alors d'une autre époque. S'ensuivent deux mois d'attente pour évacuer l'embryon qui n'a jamais voulu partir tout seul. Finalement Alice est hospitalisée et l’expulsion se fait avec une aide médicamenteuse. C'est toujours difficile à dire mais notre « premier enfant » finit par être évacué dans les toilettes de la maternité la plus proche de notre domicile.  

Les mois passés, nous retentons notre chance... 

Septembre 2022, Alice est à nouveau enceinte, soit un an après le début de sa première grossesse. Nous sommes plus prudents, l’excitation est plus mesurée.  
 

Je n'ai pas besoin d'explications pour comprendre ce qui vient de se passer. L'histoire se répète.  
 

25 octobre. Nous sommes invités à une fête de famille où nous dormons sur place le week-end. Le samedi soir, pendant la soirée, Alice ne se sent pas très bien et me confie avoir mal au ventre. Je lui dis que ça va passer et qu'il ne faut pas qu'elle s'inquiète. Nous allons nous coucher. Dans la nuit, je l'entends se lever plusieurs fois pour aller aux toilettes. Au petit matin, elle revient une nouvelle fois des toilettes, cette fois-ci en pleurs. Je n'ai pas besoin d'explications pour comprendre ce qui vient de se passer. L'histoire se répète. Nous faisons nos affaires et nous décidons de partir pour la maternité. Les lève-tôt du dimanche matin nous voient partir en catastrophe et nous demandent ce qu'il se passe. Nous n'avons pas le courage de leur dire quoi que ce soit. Je finirai par leur envoyer un message le soir même depuis la maternité où nous perdons notre « deuxième enfant ». 

L'espoir demeure. 

Janvier 2023. Assez rapidement, Alice est à nouveau enceinte. La joie de cette nouvelle grossesse est partiellement masquée par la crainte d'une nouvelle « fausse couche ». Finalement, les choses se passent plutôt bien. Alice bénéficie d'un suivi gynécologique très rapproché et les consultations, qui se succèdent, sont assez rassurantes. Notre enfant se développe bien. 

J'essaie d'être présent à chaque rendez-vous afin d'être là en cas de mauvaise nouvelle. Nous avons néanmoins un peu de difficulté à nous projeter dans notre vie de parents, avant le 7ème mois de grossesse, momentnous comprenons que cette grossesse ira à son terme. 

 

 

Dans la nuit du 26 au 27 septembre. Alice ressent de violentes contractions. Nous savons ce que cela signifie. Nous prenons le temps de faire les valises avant d'aller à la maternité. En arrivant sur place, dans la matinée, les premiers examens montrent seulement un début de travail. Alice est très douloureuse et nous décidons de rester car ses douleurs l'empêchent de se mobiliser. Nous nous sentons en sécurité à la maternité. Le travail est long et Alice n'accouchera que le 28 septembre au soir, totalement épuisée par ces 36 heures passées à la maternité.

 

 

La rencontre avec notre petite fille, Constance, est une explosion de joie malgré l'épuisement des derniers jours. Nous avons longtemps cru que ce moment n'arriverait jamais. Nous passons la première nuit tous les trois à la maternité. Le lendemain matin, je décide de faire l'aller-retour à la maison pour aller chercher quelques affaires et prévenir notre famille. Alice ayant accouché vers 23h00, je n'ai pas prévenu grand monde, de nuit. Je retourne à la maternité très heureux de pouvoir commencer cette nouvelle vie à trois après tant de galères.  

Quand j'arrive dans le couloir de la chambre d'hospitalisation, je ressens de l'agitation. Arrivé devant la chambre, je retrouve Alice en pleurs. Autour d'elle, quatre soignants dont la pédiatre du jour et la réanimatrice de garde. Après environ une dizaine d'heures de vie, on nous explique que l'état de santé de Constance est très inquiétant.

 

Nous sommes parents depuis 12 heures et nous n'avons pas le droit de toucher notre enfant. Nous nous sentons impuissants. “ 
 

Notre fille est transportée sans plus attendre vers le service de réanimation néonatale de l'établissement. C'est un nouveau coup de choc pour Alice et moi. Nous retrouvons Constance, 1 h 30 plus tard, dans une couveuse, en réanimation. Son visage est déformé par la sonde nasogastrique qui pénètre sa narine afin de l'alimenter. Une voie centrale (système de perfusion) perfore son ventre au niveau du nombril. Ses yeux sont fermés, seul le rythme du scope, où résonnent ses battements cardiaques, nous fait comprendre qu'elle est encore en vie. Nous sommes parents depuis 12 heures, et nous n'avons pas le droit de toucher notre enfant. Nous nous sentons impuissants, là, séparés de notre fille tant désirée, par la vitre de quelques millimètres d'épaisseur de sa couveuse. À cette impuissance sajoute le fait que nous sommes seuls, dans le Sud-Ouest, à 1000 km de notre famille. Constance verra-t-elle un jour ses grands-parents ? ses oncles et tantes ? Pour le moment nous n'avons pas les réponses à ses questions. 

 

Comme je ne veux pas craquer devant Alice, je décide de m'isoler pour pleurer. (...) Ce jour-là, je fais une boucle de 10 km, alternant course et marche à pied quand les émotions l'emportent.

 

Alice est anéantie. Moi, je décide de ne pas craquer, de rester fort devant elle et Constance, de ne montrer aucun signe de faiblesse pour ne pas ajouter de surcharge émotionnelle à Alice. Le problème, c’est que j'ai quand même besoin « d’évacuer » tous ces événements qui nous sont arrivés ces dernières années : les « fausses couches », puis cette naissance tant attendue qui vire au drame. J’ai besoin de faire s’échapper toutes ces incertitudes. Comme je ne veux pas craquer devant Alice, je décide de m'isoler pour le faire. Et comme je n'ai pas non plus envie d'évacuer mes émotions dans les couloirs de l'hôpital, là où j'ai entendu tant de familles hurler pendant l'exercice de mon métier, je m’échappe... Il y a une forêt à côté de l'hôpital, à environ 2 km. Je décide donc d'aller m'isoler là-bas pour évacuer cette pression. Je chausse mes baskets et je pars directement de l'hôpital. Ce jour-là, je fais une boucle de 10 km, alternant course et marche à pied quand les émotions l'emportent. Le sport a toujours fait partie de ma vie. J’ai pratiqué le tennis à bon niveau jusqu’à mes 18 ans et puis je cours plusieurs fois par semaine une petite heure. Et durant cette première sortie, je ressens que la course m’aide à me vider la tête et à évacuer mes émotions. Je reviens le cœur plus léger à l’hôpital.  
 

Je décide de faire cette boucle tous les jours pendant l'hospitalisation de Constance. 1 heure par jour pour craquer, loin des regards.  
 

M’isoler des regards m'a fait énormément de bien, alors je décide de faire cette boucle tous les jours pendant l’hospitalisation de Constance. Ainsi je peux rester fort 23 h sur 24 auprès de ma famille, et m'autoriser 1 h par jour pour craquer, loin des regards, si besoin. J’essaie au maximum de partir quand Alice est occupée (soit au téléphone avec sa famille, soit en train de faire la sieste) pour qu’elle ne ressente pas mon absence.  

Le quatrième jour, je ressens que la course à pied me donne beaucoup de pensées positives et m'aide vraiment à surmonter cette épreuve. Je suis médecin et j'ai envie de montrer l'exemple. Et si je créais une course pour les enfants malades ? Je passe la nuit à réfléchir à comment mener ce projet, et surtout comment le faire connaître. À cette époque je suis novice en course à pied et je ne suis même plus sur les réseaux sociaux. Rapidement, je finis par me dire qu'une simple course de 10 km n'apporterait pas beaucoup de médiatisation. Je dois trouver autre chose. Comme je suis né au pied du massif des Vosges, pas très loin de là où nous vivons actuellement, je me dis c’est peut-être ça, la clef de ce challenge : réaliser un défi dans ce massif qui est une plongée dans mon enfance... Cette idée me sort de mon sommeil. Après quelques recherches, je trouve un parcours long de 440 km, plutôt vallonné, avec des dénivelés positifs et négatifs, traversant l'intégralité du massif des Vosges. Le record est alors de 7 jours et 23 heures, soit une moyenne de 55 km par jour. Sans même réfléchir une seconde de plus, je sais que c'est ce défi qu'il me faut. Je vais tenter de battre ce record, au profit des enfants malades ! 

 

 

Après quatre jours en réanimation, on apprend que Constance se porte de mieux en mieux et qu'elle pourra probablement rejoindre le service de pédiatrie dans l'après-midi. C'est une explosion de joie. Jusqu’à maintenant, elle était nourrie artificiellement par une sonde nasogastrique, et traitée par antibiotiques via une voie intraveineuse (voie centrale dans le nombril). Nos contacts avec elle étaient très limités, on ne pouvait que la regarder sans la prendre dans nos bras, car elle était très fatiguée et protégée par une couveuse. Mais Constance s'est battue dans cette couveuse, elle a fini par gagner ! Cela me booste dans mon nouveau projet. À mon tour, j'ai envie de me « battre » pendant quatre jours dans ces montagnes et de finir par gagner ce record. Je profite d’une sieste d'Alice dans l’après-midi, pour aller une nouvelle fois courir, et je réfléchis aux moyens de médiatiser ce projet. Le plus simple à l'heure actuelle reste les réseaux sociaux. Je crée un compte Instagram* dédié à mes entrainements. Assez novice dans ce sport, je me dis qu'il me faudra environ 18 mois d'entraînement pour espérer arriver en forme le jour J. Pour les dons, Je choisis tout naturellement l'association « Tête en l’air », l'une des principales associations de neurochirurgie pédiatrique en France. Pour moi, ça a du sens : une association de pédiatrie en lien avec mon métier. 

 

 

Je me donne 18 mois pour me préparer. Durant cette période, je vais tenter tant bien que mal de mêler vie de jeune papa, travail intensif, entraînements sportifs et recherche de sponsors pour l’événement.... Et je fais comme je peux. Je bosse environ 70 heures par semaine avec des astreintes de nuit et des « journées » de travail pouvant aller jusqu’à 35 heures sans rentrer à la maison. Malgré tout, je m’entraîne plus ou moins 15 h par semaine. Les journées ne faisant que 24 heures, il m’arrive d’aller courir en pleine nuit. Chaque semaine est un vrai casse-tête pour caser mes séances d’entraînement au milieu de mes horaires de travail, très chargés. Une fois, je tente même un marathon, de 2 h 30 à 7 h du matin, avant d’aller au travail (où je démarre tous les jours à 7 h 15). Il y a pas mal de fatigue qui s’accumule mais je tiens bon ! En fait courir m’aide à encaisser ce rythme de vie à 100 à l’heure. La course génère une bonne fatigue. Et progressivement j’augmente les distances de mes courses. Les 20 km qui m’épuisaient au début deviennent mes sorties « courtes ». De mois en mois, mon endurance se développe et, 6 mois avant le grand départ, j’atteins une moyenne de 120 à 150 km parcourus par semaine. Je réalise aussi plusieurs courses préparatoires de 80 km où je suis souvent à l’avant du peloton, ce qui me motive d’autant plus pour continuer les entraînements et me rassure sur mes capacités à y arriver. Ma seule crainte est de me blesser juste avant ou pendant le trail. 

En parallèle des entraînements, je crée un compte Instagram pour parler de mon projet. Je ne suis pas du tout fan des réseaux sociaux, à la base, mais c’est un passage obligé et ça marche ! Des marques qui sponsorisent de nombreux athlètes professionnels me suivent et décident de rejoindre l’aventure. La veille de la traversée, c’est un mélange d’excitation et de doute mais j’ai hâte que ça démarre, je tourne un peu en rond...  

 

Dans ma tête, je vise 4 jours pour faire toute la traversée des Vosges, symbole du combat de Constance en réanimation.  

 

29 avril 2025. 08 h 02. Je m'élance depuis Wissembourg, point de départ des Vosges du Nord, en direction de Belfort, point de chute des Vosges au sud, situé 440 km plus loin. Dans ma tête, je vise quatre jours de course pour faire tout le parcours, symbole du combat de Constance en réanimation. Sur la ligne de départ, des proches et quelques médias. La traversée des Vosges se passe bien avec des journées où je cours entre 60 et 110 km, et des nuits de 3 à 6 heures selon les besoins. Les coups durs sont anéantis en une fraction de seconde en pensant à Constance, aux enfants malades et à ce projet complètement fou qui suscite de l’engouement avec une cagnotte qui monte ! L’équipe qui m’accompagne fait tout pour que j’avance le plus vite possible. Je n’ai rien à penser, juste à avancer jusqu’à la ligne d’arrivée. En chemin, je traverse le Temple du Donjon, le lieu préféré de mes grands-parents. Passer par ce chemin est l’occasion de leur rendre hommage.  

 

 

Le plus dur n’est pas de maintenir le rythme en courant, en trottinant, mais plutôt de rester lucide malgré le manque de sommeil. Je dors 3 heures la première nuit et je souffre d’un manque de lucidité marqué dès le deuxième jour où je manque de tomber et de me blesser plusieurs fois. Les parcours en montagne sont traîtres, un faux pas peut vite virer à la catastrophe. Si je tombe, l’aventure s’arrêtera alors, les nuits suivantes, je décide de dormir 6 heures pour m'assurer d’être plus alerte et lucide. Il n'y a pas de baisse de moral, de blessure, ou d'envie d'abandonner tout au long du parcours, signe de la magie qu'offre la parentalité.  

 

 

3 mai 2025. 02 h 51. Il pleut, j’ai froid et je suis exténué de courir depuis la veille, 5h15, mais je franchis enfin l'arche d'arrivée, à Belfort, devant tous mes proches venus me soutenir jusqu'au dernier instant malgré la nuit profonde et la météo. Voilà, je l’ai fait ! J’ai battu le record de la traversée des Vosges en 4 jours 18 heures et 49 minutes. Pour ma fille, pour l’association Tête en l’air et pour les enfants malades.  

 

 

Grâce à cette course j'ai l'impression d'avoir pris une revanche sur la vie. Aujourd'hui je me sens fier d'avoir réussi ce défi qui paraissait pourtant complètement dingue quand j'y ai pensé la première fois. Ça a été une aventure humaine folle mes proches et les personnes qui m’ont suivi, ont joué un rôle clé et ont pris à cœur de faire partie de cette traversée. Cette aventure nous a profondément rapprochés, Alice, Constance et moi. Nous avons vécu des tas de choses indescriptibles et ces souvenirs resteront gravés à jamais. J’espère que Constance sera fière de son papa quand elle sera en âge de comprendre. "

 

Les tips de Gaëtan  

Essayer de rebondir comme on peut.
Trouver le moyen de surmonter les épreuves sur le plan psychologique. 
 

La pensée freestyle de Gaëtan 

Des évènements tragiques peuvent amener à de belles histoires. 

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Si tu as envie de faire partie de l’aventure, il n’est pas trop tard, la cagnotte en faveur de l'association Tête en l’air est toujours ouverte ! 

*gaetan.laine.trail 
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